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Il est courant que des employeurs du secteur tertiaire utilisent des photos de leurs collaborateurs à des fins publicitaires et d’information sur des supports publicitaires, notamment sur leurs sites Internet. Cet article esquisse les différents droits et intérêts à prendre en compte et comment l’employeur peut éviter des complications ultérieures grâce à des accords contractuels clairs avec le photographe et des déclarations de consentement concrètes des collaborateurs.

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1. Contexte
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Si un employeur souhaite utiliser des portraits photographiques de ses collaborateurs dans des imprimés publicitaires ou d’information, il fait généralement appel à un photographe professionnel à cet effet. Lorsque le photographe fournit à l’employeur les photographies réalisées conformément au contrat, les droits suivants doivent résolument être distingués:

  • le droit de propriété sur les photographies réalisées conformément au contrat,
  • un droit d’auteur éventuel sur les photographies utilisées et
  • le droit correspondant «à la propre image» de chaque collaborateur sur la photographie présentée au public.

Il est par ailleurs à noter que l’employeur a un devoir d’assistance contractuel envers ses collaborateurs qui implique notamment des mesures visant à protéger la personnalité.1 L’utilisation illicite d’une photographie d’un collaborateur sur Internet par l’employeur lui-même ou par des tiers pourrait éventuellement constituer une atteinte grave à la personnalité du collaborateur.

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2. Propriété de la photographie en droit réel
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Si l’employeur conclut un contrat relatif à la réalisation de photographies de collaborateurs avec un photographe, il s’agit d’un contrat d’entreprise conformément aux art. 363 ss CO.2 Du fait du transfert ou de la livraison, l’employeur acquiert la propriété (en droit réel) des photographies réalisées conformément au contrat.3 La livraison et donc l’acquisition de la propriété devraient également inclure les négatifs ou supports de données correspondants, dans la mesure où les parties n’ont pas conclu d’autre disposition contractuelle à ce sujet. L’employeur a le droit de disposer librement, dans les limites de la loi, des objets physiques qui lui ont été livrés et de faire valoir ses droits de propriété vis-à-vis des tiers.4

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3. Droit d’auteur de la photographie
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Les droits d’auteur éventuels sur les photographies de collaborateurs réalisées doivent être distingués de la propriété en droit réel des différentes photographies. On entend par œuvre selon la loi fédérale sur le droit d’auteur (LDA)5 toute création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel, quelles qu’en soient la valeur ou la destination; ce qui inclut également les œuvres photographiques, conformément à la disposition expresse de la loi.6 Par nature, les photographies consistent à reproduire quelque chose qui existe déjà grâce à un procédé technique. On peut donc se demander au cas par cas si la part dans la production et dans la personnalisation d’une œuvre photographique fournie par la caméra prime la contribution de la personne qui utilise la caméra. D’après la loi et la jurisprudence suisse, toute prise de vue photographique n’est donc pas protégée par le droit d’auteur. Deux arrêts principaux du Tribunal fédéral ont ainsi dénié la protection du droit d’auteur à une photo de presse («Wachmann Meili»),7 alors qu’un instantané réussi («Bob Marley») a été reconnu en tant qu’œuvre protégée par le droit d’auteur.8 La définition concrète d’une prise de vue photographique (par exemple le choix du détail, le moment du déclenchement, l’utilisation de certains filtres ou objectifs, le réglage de la netteté ou l’éclairage, le traitement du négatif, etc.) est considérée comme le critère déterminant pour lui consentir un caractère individuel et donc la protection du droit d’auteur.9 Lorsqu’un professionnel est sollicité pour prendre des photographies des collaborateurs pour la présentation sur un site Internet, il doit prendre et appliquer de nombreuses décisions en matière de conception, même si certaines le sont en accord avec le mandant. Un caractère individuel et donc la protection du droit d’auteur doivent généralement être consentis à de telles photographies.

Conformément au principe de création en vigueur dans le droit d’auteur suisse, on entend par auteur la personne physique qui a créé l’œuvre (art. 6 LDA). Les employeurs ou les personnes morales ne peuvent donc pas d’emblée acquérir des droits de protection. Une exception légale s’applique en ce qui concerne les droits de protection sur les inventions et les designs: s’ils sont l’œuvre de collaborateurs dans l’exercice de leur obligation de travail, ils sont initialement créés chez l’employeur (art. 332 al. 1 CO).10 L’auteur a le droit exclusif de décider quand et de quelle manière son œuvre sera divulguée.11 L’auteur a également le droit exclusif de décider de l’utilisation (diffusion comprise) et du traitement d’une œuvre.12

Les droits d’auteur sont cessibles et transmissibles par succession (art. 16 al. 1 LDA). La transmission du droit d’auteur inclut en principe les droits de jouissance afférents dans leur totalité ou scindés en droits partiels (par exemple par types d’usages, domaines d’utilisation et périodes).13 Les droits concernant des types d’usages (encore) inconnus sont également transmissibles.14 Le seul transfert de propriété d’un exemplaire de l’œuvre (dans le cas présent, la photographie, le négatif ou le support de données) n’entraîne aucun transfert des droits d’utilisation selon le droit d’auteur.15 Le transfert du droit d’auteur peut être informel, la forme écrite devant être préférée pour des questions de preuve.

Les droits d’utilisation selon le droit d’auteur peuvent être concédés de diverses façons, avec des effets différents sur la position du photographe et du mandant. Ainsi, le photographe peut-il concéder à un tiers dans le sens d’une licence contractuelle l’utilisation d’une photographie, qui est par ailleurs limitée selon le genre d’utilisation, le lieu, la durée ou l’étendue. Dans le cas où seuls des droits de jouissance des photographies avec un effet purement obligatoire sont concédés à l’ayant droit, le photographe demeure propriétaire du droit d’auteur. Le transfert précité des droits d’auteur exclusifs au mandant permet en revanche à ce dernier de faire valoir ces droits vis-à-vis de tiers quelconques, mais aussi du photographe lui-même (effet absolu).16 En pratique, ces questions ne sont souvent pas réglées ou elles le sont de manière imprécise. La notion de «licence» qui n’est pas définie par la loi est notamment utilisée de façon indifférenciée pour différents types de contrats de jouissance. L’interprétation permet de déterminer la volonté réelle des parties si la disposition contractuelle est incertaine. L’interprétation ne doit pas tant se fonder sur la terminologie utilisée que sur la volonté concordante réelle des parties.17 Lorsqu’un photographe doit être chargé de réaliser des photographies des collaborateurs, l’employeur a tout intérêt aux fins de la preuve de convenir par écrit avant même le début des prises de vue que tous les droits, notamment les droits d’auteur éventuels sur les photographies à réaliser lui soient transférés. L’employeur devant s’assurer lors de l’utilisation de portraits des collaborateurs que les droits de la personnalité de ses employés ne soient pas indûment violés, le transfert intégral à l’employeur de tous les droits de jouissance selon le droit d’auteur sur les photographies réalisées conformément au contrat s’impose littéralement. En tant que propriétaire des droits de jouissance exclusifs complets sur les photographies de ses collaborateurs, l’employeur est en mesure de satisfaire directement son devoir d’assistance selon le droit du travail et de s’opposer efficacement aux utilisations illicites des photographies, tant par des tiers que par le photographe. Cette position juridique permet le cas échéant à l’employeur d’imposer de bon droit en justice la cessation d’une utilisation illicite existante et / ou l’interdiction d’une utilisation future éventuelle d’une photographie de collaborateur.18

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4. Droit des collaborateurs à leur propre image
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Quels que soient les droits de l’employeur et le cas échéant de l’auteur des photographies, le «droit à la propre image» du collaborateur doit être respecté. Il s’agit d’une sous-catégorie du droit général de la personnalité de ­l’art. 28 CC.19 En principe, personne ne doit être reproduit sans son consentement (préalable ou a posteriori), que ce soit par le biais d’un dessin, d’un portrait, d’une photographie ou de tout autre procédé similaire;20 dans le cas de l’utilisation du portrait d’une personne sur Internet, il est évident que celle-ci est impossible sans le consentement de la personne concernée.

L’employeur devrait donc demander le consentement écrit des différents collaborateurs en vue de la réalisation et de l’utilisation des portraits, notamment à des fins de preuve. L’utilisation prévue (p.ex. l’utilisation sur un imprimé à publier et / ou sur le site Internet) doit être suffisamment concrétisée à cette occasion.21 Une utilisation au-delà de celle qui a été concrétisée ne serait pas couverte par le consentement et serait donc illicite, sauf autorisation a posteriori. Le consentement doit en outre se référer à la ou aux photographie(s) à publier concrètement,22 ce qui n’est par nature possible qu’après la réalisation des clichés et en concertation avec le collaborateur et le cas échéant avec le photographe impliqué.

A la cessation des rapports de travail, les portraits qui individualisent explicitement les collaborateurs photographiés sur le site Internet de l’employeur doivent être immédiatement retirés. S’agissant des photographies sur d’autres supports publicitaires et d’informations qui sont encore en circulation à la cessation des rapports de travail, il est possible de consigner dans une déclaration de consentement écrite du collaborateur que le consentement se poursuit au-delà de la cessation des rapports de travail. Il en va de même des photographies qui individualisent la personne photographiée d’une manière non identifiable pour des tiers.

Une partie de la doctrine estime que le consentement concernant l’utilisation des photographies est en tout temps révocable, des exceptions étant envisageables au cas par cas et le détenteur des droits procédant à la révocation pouvant éventuellement être tenu à un dédommagement. Selon une opinion divergente, la photographie d’une personne peut être l’objet d’une obligation contractuelle irrévocable, car il s’agit d’un bien de la personnalité qui ne relève pas du noyau central de l’existence humaine.23 Dans la mesure où des intérêts économiques sont prépondérants dans cette obligation en question, le Tribunal fédéral a adhéré à cette dernière conception et estime par conséquent qu’une obligation contractuelle par laquelle le droit à la propre image est (irrévocablement) aliéné est en principe licite.24 Cette conclusion ne peut toutefois pas être transposée au consentement d’un collaborateur à l’utilisation de son image dans les rapports de travail. Ainsi, le collaborateur ne donnera pas un tel consentement de son propre chef et sans intérêt économique propre. Dans le contexte de l’obligation de l’employeur de protéger au mieux la personnalité de ses collaborateurs, il faut plutôt partir du principe que le consentement en vue de l’utilisation d’une photographie sur Internet par l’employeur devrait en principe être en tout temps révocable. Pour les mêmes raisons, une obligation de dédommagement du collaborateur procédant à la révocation ne serait envisageable qu’avec les plus grandes réserves dans un cas de figure très particulier.

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5. Conclusion
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Si l’employeur fait appel à un photographe pour réaliser des photographies des collaborateurs utilisées à des fins publicitaires ou d’information sur son site Internet ou dans des imprimés publiés, il est conseillé de consigner sans ambiguïté dans un contrat écrit que tous les droits, notamment les droits d’auteur éventuels sur ces photographies, sont transférés à l’employeur. Dans le cadre de son devoir d’assistance selon le droit du travail, l’employeur est tenu d’engager des mesures contre les utilisations illicites éventuelles des photographies des collaborateurs par des tiers ou, le cas échéant, aussi par le photographe engagé. S’il dispose des droits correspondants en tant que propriétaire, il peut également faire valoir en son propre nom des prétentions en cessation et en interdiction correspondantes. L’employeur a le droit de veiller à la propre image de ses collaborateurs. L’utilisation de photographies par l’employeur n’est possible qu’avecle consentement explicite des collaborateurs concernés et doit en principe être limitée à la durée des rapports de travail correspondants. Il est conseillé de demander le consentement écrit du collaborateur en vue de l’utilisation d’un portrait, à des fins de preuve. La finalité d’utilisation doit être suffisamment concrétisée dans la déclaration de consentement. Le consentement d’un collaborateur en vue de l’utilisation d’une photographie est en principe révocable; à la cessation des rapports de travail, une photographie du collaborateur sur le site Internet de l’employeur doit être immé­diatement retirée.

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  1. Art. 328 CO.
  2. Bühler, Zürcher Kommentar, Teilband V 2d, Der Werk­vertrag, N 77 rel. à l’art. 363 CO; Gauch, Der Werkvertrag, 5e éd., Zurich 2011, Cm 34. Etant donné que le photographe doit réaliser l’œuvre à fournir avec du matériel qu’il met à disposition (la pellicule), le contrat peut aussi être qualifié de contrat de livraison d’une œuvre (Gauch, loc. cit., Cm 121).
  3. Cf. Bühler, loc. cit., N 11 rel. à l’art. 367 CO.
  4. Cf. l’art. 641 CC.
  5. Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (Loi sur le droit d’auteur, LDA) du 9 octobre 1992.
  6. Art. 2 al. 1 en relation avec l’art. 2 al. 2 let. g LDA.
  7. ATF 130 III 714 ss («Wachmann Meili»).
  8. ATF 130 III 168 ss («Bob Marley»). Conformément aux explications du Tribunal fédéral, la préparation mentale d’un instantané au sens de «mise au point devant l’œil mental» ou le choix réfléchi d’une photographie dans une série d’instantanés peut également représenter une prestation intellectuelle. Dans la mesure où une telle prestation intellectuelle se reflète dans l’œuvre, elle peut justifier la protection par le droit d’auteur (ATF 130 III 174, consid. 4.4).
  9. ATF 130 III 173, consid. 4.5; ATF 130 III 717, consid. 2.1.
  10. L’art. 17 LDA prévoit en outre que l’employeur est seul autorisé à exercer les droits exclusifs d’utilisation sur le logiciel créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles (œuvres dites obligatoires). Il ne s’agit pas d’une acquisition initiale des droits de l’employeur, mais d’une cession légale. Cette disposition qui n’inclut pas la création d’œuvres occasionnelles est dispositive et peut donc être modifiée par des accords individuels (Rehbinder / Viganó, Ur­heberrecht, 3e éd., Zurich 2008, N 1 ss. rel. à l’art. 17 LDA).
  11. Cf. art. 9 al. 2 LDA.
  12. Cf. art. 10 et 11 LDA.
  13. Rehbinder / Viganó, loc. cit., N 2 rel. à l’art. 16 LDA. La question de savoir dans quelle mesure les droits de la personnalité de l’auteur peuvent être transférés est litigieuse. Le droit de l’auteur de se défendre contre les altérations de son œuvre (art. 11 al. 2 LDA) est de nature hautement personnelle et n’est donc pas cessible (Hilty, Urheberrecht, Berne 2011, Cm 282).
  14. Pour éviter les doutes quant à savoir si les types d’utilisation futurs sont couverts par un transfert des droits, ceux-ci doivent être explicitement cités dans le contrat de cession (Rehbinder / Viganó, loc. cit., N 3 rel. à l’art. 16 LDA).
  15. Ce n’est pas le cas, même si l’exemplaire de l’œuvre transféré est l’œuvre originale (cf. l’art. 16 al. 3 LDA).
  16. Cf. à ce propos Barrelet / Egloff, Das neue Urheberrecht, 3e éd., Berne 2008, N 2 rel. à l’art. 16 LDA; Rehbinder / Viganó, loc. cit., N 5 rel. à l’art. 16 LDA.
  17. Art. 18 al. 1 CO; Rehbinder / Viganó, loc. cit., N 5 rel. à l’art. 16 LDA.
  18. Art. 62 al. 1 LDA. La personne qui dispose d’une licence exclusive peut également intenter une action pour autant que le contrat de licence ne l’exclue pas explicitement (art. 62 al. 3 phrase 1 LDA). Si les conditions correspondantes selon le code des obligations sont réunies, le titulaire de droits d’auteur a également droit au paiement de dommages-intérêts, à la réparation du tort moral ainsi qu’à la remise du gain (cf. l’art. 62 ­al. 2 LDA).
  19. Art. 28 CC: «Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (al. 2)».
  20. S’agissant des photographies, cela ressort également de la loi fédérale sur la protection des données (LPD). Ainsi, quiconque traitant des données personnelles ne doit pas porter une atteinte illicite à la personnalité des personnes concernées (p.ex. sans leur consentement), conformément à l’art. 12 al. 1 LPD. La notion de données personnelles inclut toutes les informations qui se rapportent à une personne identifiée ou identifiable (art. 3 let. a LPD); ceci inclut également les données photographiques sous la forme d’une photographie présentant une certaine personne (ATF 127 III 493, consid. 3a).
  21. ATF 136 III 405 consid. 5.2.1.
  22. ATF 136 III 405 consid. 5.2.1.
  23. Cf. les remarques quant aux réflexions doctrinales dans l’ATF 136 III 405, consid. 5.2.2.
  24. ATF 136 III 406 consid. 5.2.2.-3: Eu égard à l’importance qu’a prise ces dernières décennies la commercialisation de la propre image, du nom ou de la voix, le Tribunal fédéral juge irréaliste de continuer à considérer la cession des droits sur la propre image comme une activité qui ne serait pas accessible à une obligation juridiquement contraignante et devrait au contraire pouvoir être révoquée librement en tout temps.
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