Suite à l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations révisées du GAFI, des obligations d’annoncer nouvelles, jusqu’ici inconnues en droit suisse, incombent aux actionnaires depuis le 1er juillet 2015. Elles auront des incidences significatives sur le droit des sociétés.
Le 12 décembre 2014, le Parlement a adopté la loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révisées en 20121. Un volet essentiel de la nouvelle réglementation porte sur le durcissement des obligations d’annoncer, notamment de celles qui incombent aux actionnaires, entrées en vigueur le 1er juillet 2015 (RO 2015 1389). Il existe désormais une obligation d’annoncer générale pour les détenteurs d’actions au porteur (cf. ch. 3 ci-après) et les actionnaires doivent, à partir d’un certain seuil, déclarer les ayants droit économiques (cf. ch. 4 ci-après). Les sociétés ont pour leur part à tenir des registres et à en conserver les justificatifs (cf. ch. 5 et 8 ci-après.).
Précisons d’emblée que les sociétés anonymes ne sont pas seules à être concernées par la nouvelle réglementation. Les sociétés à responsabilité limitée (Sàrl) et les sociétés coopératives font elles aussi l’objet de nouveaux régimes2.
Les obligations d’annoncer des actionnaires ne sont pas étrangères en soi au droit suisse actuel. C’est ainsi que la loi sur les bourses contient des dispositions relatives à la déclaration de participations détenues dans des sociétés cotées: si une personne ou un groupe atteint ou franchit, vers le haut ou vers le bas, les seuils de 3, 5, 10, 15, 20, 25, 33 1/3, 50 ou 66 2/3 % des droits de vote détenus dans une société cotée ayant son siège en Suisse ou dans une société ayant son siège à l’étranger et dont au moins une partie des titres sont cotés en Suisse à titre principal, il lui appartient, dans les quatre jours de bourse qui suivent la naissance de l’obligation d’annoncer (acte générateur d’obligations) de remettre une déclaration écrite à la société (émettrice) et à la Bourse auprès desquelles les titres sont cotés (art. 20 LBVM3).
Le nouveau régime conduit pour les actions au porteur à un véritable changement de paradigme4, raison pour laquelle il convient tout d’abord de décrire précisément l’action au porteur en tant que telle et de la comparer à l’action nominative.
En Suisse, quelque 50 000 sociétés anonymes, soit un quart de toutes les SA, ont émis au moins en partie des actions au porteur5. L’action au porteur est matérialisée par un titre au porteur. Les titulaires d’actions au porteur peuvent faire valoir leurs droits en se réclamant simplement du fait qu’ils détiennent les titres, moyennant leur présentation. Le transfert d’une action au porteur consiste à remettre le titre en question sur la base d’une transaction obligatoire (acte générateur d’obligations, par exemple un contrat de vente). Il faut évidemment justifier d’un pouvoir de disposition6.
Le transfert d’actions nominatives, par contre, est un peu plus compliqué: il est nécessaire, en l’espèce, non seulement de transférer les titres qui les matérialisent mais encore d’endosser les actions en question ou d’établir une déclaration de cession7. Sur ce, les actionnaires sont inscrits au registre des actions que doit tenir le conseil d’administration de la société anonyme8. Dans la relation à la société, est réputé actionnaire ou usufruitier quiconque est inscrit dans ce registre. S’il a été fait usage de la possibilité légale de rendre statutairement plus difficile le transfert des actions nominatives (restriction à la transmissibilité des titres), l’approbation du conseil d’administration est requise au surplus.
Les modalités simplifiées de transfert des actions au porteur, notamment l’absence de registre, conduisaient par le passé à ce qu’une société qui avait émis de tels titres n’était pas obligée, selon l’ancien droit, de connaître absolument l’identité des actionnaires, même lorsque ces actionnaires entendaient exercer leurs droits. Cependant, la lutte internationale contre le blanchiment d’argent a fait naître la nécessité d’une identification accrue des titulaires d’actions au porteur et même un appel à l’abolition des actions au porteur. En Suisse, le législateur a décidé de ne pas les «enterrer» mais d’imposer, dès le 1er juillet 2015, des obligations d’annoncer jusqu’ici inédites aux détenteurs d’actions au porteur.
Afin de prévenir l’usage frauduleux des actions au porteur, toute personne physique ou morale qui acquiert de tels titres est tenue de le déclarer à la société qui les a émises (art. 697i al. 1 CO). Il n’est prévu aucun seuil déclencheur pour la déclaration obligatoire, de sorte que l’achat d’une unique action au porteur suffit à lancer le mécanisme9. En même temps, l’acquéreur doit indiquer son prénom et son nom (pour une personne morale: sa raison sociale) ainsi que son adresse. L’obligation d’annoncer persiste jusqu’à la radiation de la société dans le registre du commerce. Dans ce cas, il devrait être nécessaire de déclarer le nombre des actions acquises afin de garantir la transparence requise10.
Tout changement de prénom et de nom (ou de la raison sociale s’il s’agit d’une personne morale) ou d’adresse doit également être déclaré à la société anonyme (art. 697i al. 3 CO). La loi ne prévoit aucun délai pour ce faire; il est permis de penser que le délai d’un mois s’appliquera en l’occurrence (cf. ch. 3.3 ci-après)11.
Il n’existe d’exceptions à l’obligation d’annoncer que lorsque les actions de la société sont cotées en bourse (art. 697i al. 1 CO)12 ou ont été émises sous forme de titres intermédiés13 (art. 697i al. 3 CO). Dans ce dernier cas, la société anonyme doit désigner un dépositaire auprès duquel les actions seront déposées ou inscrites au registre principal. Ce dépositaire doit être établi en Suisse. Contrairement au libellé de la loi, cette disposition s’applique également aux certificats globaux conservés auprès d’un dépositaire14.
Selon la loi telle qu’elle est formulée, la cotation à une bourse étrangère suffit à justifier l’exception, ce qui peut théoriquement conduire à ce que les dispositions étrangères ne prévoient au mieux qu’une obligation de déclarer lacunaire et, par là même, à ce que le but de la loi, à savoir identifier les actionnaires, ne soit pas atteint. Aussi d’aucuns estiment-ils que l’exception ne doit s’appliquer qu’à condition qu’il existe à l’étranger des dispositions en matière de transparence au moins équivalentes à celles définies dans la LBVM15.
L’annonce doit intervenir dans le délai d’un mois à compter de la date d’achat des actions, sachant qu’il s’agit de la date à laquelle l’opération d’achat a été exécutée et non de la date de conclusion du contrat de vente16. A propos de la date, une société peut s’en remettre aux indications de l’actionnaire, sauf évidemment en présence d’une erreur manifeste. S’il existe des indices d’erreur, l’actionnaire est tenu de produire des justificatifs quant à la date d’acquisition, faute de quoi ses droits patrimoniaux s’éteignent (cf. ch. 9 ci-après).
Il appartient à l’acquéreur de prouver qu’il détient effectivement les actions; il lui suffit en principe de présenter les actions au porteur originales ou une copie des certificats17. En cas de litige, ce sont les originaux qu’il faut produire18. De plus, l’acquéreur doit s’identifier: une personne physique par la présentation de l’original ou de la copie d’un document de légitimation officiel (passeport, carte d’identité ou permis de conduire; une personne morale suisse par la présentation d’un extrait du registre du commerce, une société étrangère par un extrait authentique du registre du commerce étranger ou, à défaut, un acte équivalent (art. 697i al. 2 CO). Il doit s’agir de documents actuels ne datant pas de plus de douze mois19. Si des modifications y ont été apportées entretemps, il y a lieu de produire les documents les plus récents, à moins que les modifications en question ne soient insignifiantes.
La loi ne prévoit pas de forme particulière pour la communication de ces informations. Sachant que l’omission d’une déclaration risque d’avoir de graves conséquences, l’annonce devrait être faite de manière que l’actionnaire concerné puisse en apporter la preuve en cas de litige ultérieur.
Du fait de l’obligation d’annoncer qui s’imposera lors de l’acquisition d’actions au porteur, les sociétés auront connaissance des nouveaux détenteurs de ces titres et de la participation qu’ils détiennent. Il en va de même des actions nominatives: les actionnaires qui entendent faire valoir leurs droits sont inscrits sur demande au registre des actions. Quant à savoir si un détenteur d’actions nominatives ou au porteur agit seul ou pour le compte de tiers, l’annonce ou l’inscription dans le registre des actions ne le précise pas. C’est pourquoi la loi prévoit désormais – par analogie à la loi sur le blanchiment d’argent – que quiconque, seul ou en concertation avec des tiers, acquiert des actions (nominatives ou au porteur) de sociétés non cotées en bourse20 et, ce faisant, atteintou franchit le seuil de 25 % du capital-actions ou des voix, est tenu d’annoncer dans le délai d’un mois les prénom et nom ainsi que l’adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (art. 697j al. 1 CO; ayant droit économique, «beneficial owner»). En outre, la société doit être informée de toute modification du prénom, du nom ou de l’adresse de l’ayant droit économique (art. 697j al. 2 CO). Ces obligations d’annoncer s’imposent jusqu’à la radiation de la société au registre du commerce et s’appliquent aussi bien aux actions nominatives qu’aux actions au porteur.
Ce qui frappe ici, c’est qu’il importe peu que l’ayant droit économique atteigne ou dépasse le seuil de 25 % du capital-actions ou des voix; seule compte la question de savoir si l’actionnaire franchit ce seuil. A la différence de la LBVM, le CO fait allusion non pas à l’ayant droit économique mais à l’acquéreur en ce qui concerne l’obligation de déclarer. Il incombe à ce dernier d’annoncer la personne «pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu»21.
L’art. 697j al. 1 CO introduit désormais dans le Code des obligations la notion d’ayant droit économique. Contrairement toutefois à l’idée initiale, il ne renvoie plus, pour ce terme juridique imprécis, à la définition de la LBA22 mais impose une conception qui lui est propre.
En foi de quoi l’ayant droit économique est la personne physique pour le compte de laquelle l’acquéreur agit en dernier lieu. Par principe, une personne morale n’entre pas en ligne de compte comme ayant droit économique23. Cela dit, il est possible de rencontrer des situations dans lesquelles il n’existe pas de personne physique ayant droit économique, par ex. en présence d’une organisation reconnue d’utilité publique. Dans ce cas, c’est cette organisation, dernier maillon de la chaîne de contrôle, qui doit être déclarée24.
Il s’ensuit, si l’on interprète le texte de loi à la lettre, qu’il y a lieu d’annoncer toute personne physique qui détient une participation directe dans une personne morale qui se porte acquéreur et franchit le seuil de 25 %25, quelle que soit sa participation26. Il n’est donc pas nécessaire, à la différence de la LBA, que l’ayant droit économique à annoncer contrôle une participation qualifiée27, qu’elle soit directe ou indirecte, mais il suffit d’avoir le contrôle d’une action. Les praticiens s’en tiendront-ils à ces termes ou à l’ayant droit économique qui contrôle la société au sens de l’art 2a al. 3 LBA28, l’avenir nous le dira.
On verra de même, à l’expérience, si les sociétés ouvertes au public (c.-à-d. émettant des actions cotées en bourse) dont les actionnaires ne sont plus soumis eux-mêmes à déclaration en raison des dispositions de l’art. 697i al. 3 CO, feront l’objet d’une exception à l’obligation d’annoncer l’ayant droit économique, comme le réclament d’ores et déjà les praticiens29.A défaut d’une telle exception, les ayants droit économiques devraient être annoncés en cas de franchissement du seuil, alors même que la société acquéreuse (autrement dit la société cotée) ne les connaîtrait pas. Dans les faits, c’est impossible. Il faudra donc que les exceptions à l’obligation d’annoncer s’appliquent aussi aux filiales de sociétés cotées en ce qui concerne leurs ayants droit économiques30.
Les exceptions à l’obligation d’annoncer ne valent que si les actions de la société sont cotées en bourse (art. 697j al. 1 CO) ou ont été émises sous forme de titres intermédiés (art. 697j al. 3 CO). Renvoyons ici aux commentaires du ch. 3.3 ci-dessus31.
Chaque société, qu’elle ait émis ou non des actions nominatives ou au porteur, devra tenir – c’est nouveau – une liste mentionnant tous les détenteurs d’actions au porteur annoncés (pour autant qu’elle ait émis de tels titres) et tous les ayants droit économiques annoncés aux termes de l’art. 697 jal. 1 CO. Le texte de loi tel qu’il est formulé fait allusion à la tenue d’une liste qui serait unique32. Cette liste pourra être combinée au registre des actions, pourvu que toutes les informations requises par la loi y figurent. Elle a une fonction purement administrative et une inscription sur la liste n’est nullement constitutive du maintien des droits de l’actionnaire. Quant à savoir si un actionnaire peut exercer ses droits patrimoniaux, la seule question pertinente est de se demander s’il s’est acquitté lui-même de ses obligations d’annoncer. Il convient d’apprécier séparément s’il a acquis la propriété d’une action.
Les mentions à reporter sur la liste sont les prénom et nom (ou la raison sociale dans le cas d’une personne morale) ainsi que l’adresse des détenteurs d’actions au porteur et des ayants droit économiques. Elle fait état également de la nationalité et de la date de naissance des détenteurs d’actions au porteur (art. 697l al. 2 CO). Nonobstant la communication de l’adresse, les communications aux actionnaires doivent respecter la forme prescrite par la loi ce qui veut dire qu’une publication dans la FOSC reste impérative pour les détenteurs d’actions au porteur (art. 696 al. 2 CO)33.
La liste doit être tenue de manière à pouvoir y recourir à tout moment en Suisse. Désormais, cette réglementation vaut également pour le registre des actions34 et elle s’applique aussi lorsque la liste est tenue par un intermédiaire financier. La tenue de la liste incombe au conseil d’administration, qui peut déléguer cette tâche, sachant qu’une réglementation à ce sujet peut s’imposer dans le règlement d’organisation35 (voir aussi le ch. 7 ci-après).
La liste n’étant pas publique, ni les actionnaires ni des tiers ne sont autorisés à la consulter. Cela dit, les détenteurs d’actions au porteur et les ayants droit économiques ont le droit d’obtenir des renseignements à propos des informations qui les concernent (art. 8 LPD)36.
Certes, selon le libellé du projet de loi, l’obligation d’annoncer porte, pour l’acquisition, exclusivement sur les actions au porteur et, concernant la déclaration de l’ayant droit économique, sur les actions nominatives et les actions au porteur. Toutefois, en vertu de l’art. 656a al. 2 CO, les dispositions relatives à l’action sont également applicables au bon de participation. Par conséquent, l’acquisition de bons de participation doit être déclarée, par analogie à l’acquisition d’actions au porteur37. De même, il y a lieu selon nous d’annoncer les ayants droit économiques des bons de participation nominatifs et au porteur, quand bien même cette option est rejetée en partie38.
Il n’y a par contre aucune obligation d’annoncer lors de l’acquisition de bons de participation au porteur et de titres obligataires.
Il s’ensuit selon nous que la motivation d’un droit de gage ou de l’usufruit d’actions nominatives ou au porteur ne déclenche aucune obligation d’annoncer.
En lieu et place de l’annonce des acquéreurs d’actions au porteur auprès de la société, les sociétés anonymes peuvent prévoir une annonce auprès d’un intermédiaire financier au sens de la loi sur le blanchiment d’argent. Il appartient à l’assemblée générale de prendre une décision dans ce sens (art. 697k al. 1 CO),39 étant entendu que la désignation concrète de l’intermédiaire financier incombe au conseil d’administration (art. 697k al. 2 CO). Celui-ci donne ensuite connaissance de l’intermédiaire financier aux actionnaires dans les formes prévues par les statuts, afin que ceux-ci puissent effectivement s’acquitter de leur obligation d’annoncer en rapport avec les actions au porteur. L’intermédiaire financier est alors chargé de tenir la liste évoquée au ch. 5 ci-dessus.
L’intermédiaire financier est tenu de renseigner la société à tout moment sur les actions au porteur pour lesquelles une annonce a été effectuée, avec identification du détenteur (art. 697k al. 3 CO), afin de permettre à la société de décider quels sont les détenteurs autorisés à exercer leurs droits sociaux et patrimoniaux.
La loi établit donc clairement que les noms des actionnaires et ayants droit économiques annoncés ne doivent pas être déclarés à la société, à moins que celle-ci et l’intermédiaire financier ne soient convenus de procéder ainsi40. Il s’ensuit que, malgré la nouvelle réglementation, il sera possible au détenteur d’actions au porteur de demeurer anonyme à l’égard de la société.
L’interposition de l’intermédiaire financier n’est possible – c’est la loi qui le dit explicitement – que pour les actions au porteur. Cette réglementation ne paraît pas correcte et pourrait conduire à des recoupements, pour le cas où une société aurait émis à la fois des titres au porteur et des actions nominatives.
Ainsi qu’il est précisé plus haut, un certain nombre d’informations sont à communiquer à la société à propos de ses actionnaires et il y a lieu de lui remettre des documents. La société est désormais tenue pour sa part de conserver les pièces justificatives pendant une duréede dix ans à compter de la date de la radiation de la personne inscrite du registre des actions (art. 697l CO). Le conseil d’administration répond en principe de la conservation de ces pièces justificatives. S’il a désigné un intermédiaire financier pour tenir la liste des actions au porteur, ce dernier a également compétence pour conserver les justificatifs. Sachant que, selon la LBA, des copies sont jugées suffisantes pour satisfaire à l’obligation d’établir et de conserver des documents (art 7 LBA), il est permis de penser qu’il en va de même dans le cadre des nouvelles dispositions applicables aux sociétés anonymes en matière d’obligation d’annoncer41.
Une réglementation analogue a, du reste, été instaurée pour les actions nominatives. Les pièces justificatives de leur inscription doivent elles aussi être conservées dix ans après radiation du détenteur ou de l’usufruitier du registre des actions42.
La loi dispose désormais que si l’actionnaire ne s’acquitte pas de son obligation d’annoncer (dans le délai d’un mois à compter de l’acquisition des actions, rappelons-le), l’actionnaire est privé de l’exercice des droits sociaux (en particulier son droit de vote) attachés aux actions dont l’acquisition doit être annoncée (art. 697m al. 1 CO)43.
Par ailleurs, l’actionnaire ne peut faire valoir ses droits patrimoniaux que s’il a rempli son obligation d’annoncer. Faute de s’en acquitter dans le mois qui suit l’acquisition des actions, ses droits patrimoniaux s’éteignent et il perd son droit à percevoir des dividendes (art. 697m al. 3 CO). Toutefois, s’il répare cette omission à une date ultérieure, il pourra exercer les droits patrimoniaux qui naîtront à compter de cette date.
Les règles énoncées dans les deux paragraphes précédents s’appliquent aussi bien à l’obligation d’annoncer individuelle qu’à la déclaration des ayants droit économiques, qu’il s’agisse d’actions nominatives ou au porteur.
Selon le message, elles s’appliquent aussi lorsque la modification des informations concernant des personnes annoncées n’a pas été communiquée44. Cette conséquence juridique se révélera cependant disproportionnée dans la plupart des cas. Si l’omission ne porte que sur des modifications insignifiantes, elle ne saurait à notre avis entraîner la perte ou la suspension des droits des actionnaires45. C’est d’ailleurs ce qui dit clairement le texte de loi (art. 697m al. 3 CO a contrario).
Toujours selon le texte de loi, cette conséquence juridique ne vaut que pour l’accomplissement de l’obligation d’annoncer et non pour la preuve de la détention des actions et l’obligation d’identification (production des documents requis, cf. ch. 3.3 ci-dessus). Ces obligations ne servent qu’à attester de la bonne exécution de la déclaration et il serait déraisonnable de faire appliquer les conséquences juridiques précitées46.
Une violation de l’obligation d’annoncer peut donc, comme nous l’expliquons plus haut, se solder par l’interdiction d’exercer certains droits mais cela ne veut pas dire que l’omission d’annonce rendrait impossible l’acquisition en bonne et due forme de la propriété des actions. Si les conditions requises sont remplies, la propriété des titres passe à l’acquéreur avec ou sans annonce à la société. Si un actionnaire demande son inscription sur les listes, seul compte à cette fin le fait qu’il puisse s’identifier et non pas la justification sans faille des transferts antérieurs47.
Les détenteurs d’actions au porteur qui étaient en possession de tels titres à la date du 1er juillet 2015 et qui les détiennent toujours depuis lors, sont soumis eux aussi à l’obligation d’annoncer, étant précisé qu’ils disposent d’un délai de six mois pour s’y conformer (art. 3 des dispositions transitoires). L’obligation d’annoncer incombe à tous les porteurs d’actions (à titre individuel et vaut aussi pour la déclaration de l’ayant droit économique des actions si, comme il est dit plus haut, le seuil de 25 % est atteint ou franchi. Le délai d’extinction des droits patrimoniaux évoqué à l’art. 697m al. 3 CO expirera dans ce cas six mois après le 1er juillet 2015.
En revanche, la loi ne prévoit aucune obligation d’annoncer pour les actionnaires nominatifs en place à la date du 1er juillet 2015. Autrement dit, les détenteurs d’actions nominatives ne sont pas contraints de déclarer les ayants droit économiques48.
Le conseil d’administration, en sa qualité de responsable, doit contrôler qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits sociaux et patrimoniaux en violation de son obligation d’annoncer (art. 697m al. 4 CO)49. Si l’un d’eux persiste toutefois à les faire valoir, le conseil d’administration pourra en être tenu responsable si les autres conditions relatives à sa responsabilité au sens du droit de la société anonyme (art. 754 CO) sont réunies.
A notre avis, nous fondant sur les dispositions de l’art. 678 CO, les actionnaires doivent restituer à la société les dividendes, tantièmes et autres parts de bénéfice ou intérêts intercalaires qu’ils ont perçus indûment. S’il s’agit de parts de liquidation, c’est une restitution au sens de l’art. 62 CO ou une compensation au profit des autres actionnaires qui entre en ligne de compte.
Si des actionnaires participent sans droit à l’assemblée générale et exercent leur droit de vote à propos d’actions non annoncées, les décisions de l’assemblée générale sont contestables, sous réserve de l’art. 691 al. 3 CO, qui dispose que chaque actionnaire peut les attaquer en justice, même faute de toute protestation préalable, à moins que la preuve ne soit faite que cette coopération n’a exercé aucune influence sur les décisions prises.
Les dispositions relatives à l’annonce de l’ayant droit économique et les sanctions correspondantes s’appliquent également à la Sàrl et à ses parts sociales50.
Une société coopérative doit – c’est nouveau – tenir une liste de ses coopérateurs. Toutefois, les dispositions sur les sanctions ne s’appliquent pas à elle en cas de violation des obligations d’annoncer51.
- A propos des objectifs de la loi, cf. Message concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012, du 13 décembre 2013, FF 2014 585 ss. Voir aussi Michael Kunz, Umsetzung der GAFI-Empfehlungen 2012, in: Jusletter du 23 février 2015, ch. marginaux 7 et suivants.
- Les réglementations concernant les sociétés anonymes s’appliquent aussi aux sociétés en commandite par actions.
- Loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières; RS 954.1.
- On pourrait parler ici de «pseudo-action au porteur à la Suisse».
- Message (cf. note 1), p. 634.
- A défaut de pouvoir de disposition, la bonne foi de l’acquéreur est requise quant à la compétence juridique du vendeur, à moins d’être en présence du cas visé à l’art. 935 CC.
- S’il n’a pas été émis de certificats, les actions, qu’elles soient nominatives ou au porteur, doivent faire l’objet d’une cession au lieu d’un transfert physique. Si les actions sont des titres intermédiés, leur transfert est régi en principe par la loi sur les titres intermédiés du 3 octobre 2008 (LTI); RS 957.1.
- Le registre des actions doit désormais être tenu de telle manière que quiconque en Suisse puisse y recourir à tout moment.
- Ce qui est en contradiction avec la LBVM, qui ne prévoit une obligation de déclarer qu’à partir de la détention de 3 % des actions. Comme il existe une exception à l’obligation de déclarer pour les actions cotées en bourse (cf. ch. 3.2 ci-après), cela conduit à une inégalité de traitement au détriment des actions au porteur de sociétés privées et cotées (voir aussi Lukas Glanzmann / Philipp Spoerlé, Die Inhaberaktie – leben Totgesagte wirklich länger?, in: GesKR 1/2014, p. 9).
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 11.
- Peter Lutz / Martin Kern, Umsetzung der GAFI-Empfehlungen: Massgebliche Auswirkungen bei der Geldwäschereibekämpfung im Gesellschaftsrecht, in: SJZ 111/2015, p. 305.
- D’aucuns pensent que la cotation en bourse d’une partie seulement des actions devrait suffire à fonder l’exception (cf. Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 10). A notre avis, il faut abonder dans leur sens.
- Au sens de la loi sur les titres intermédiés.
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 10. Aux termes de la loi sur les titres intermédiés, les dépositaires ont à s’assurer qu’ils sont en mesure, sur demande, de mettre à disposition dans la chaîne les informations concernant les titulaires d’actions au porteur qui émanent des autres dépositaires. (art. 23a LTI).
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 10. Cet avis, qui restreint la réglementation relative aux exceptions, doit selon nous être rejeté.
- Voir aussi Peter Lutz / Martin Kern, ibid., p. 305; Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 9. Si seul le contrat de vente est conclu, sans exécution parallèle de l’acte juridique, aucune déclaration n’est requise. Dans la LBVM, par contre, c’est l’acte générateur d’obligations qui est déterminant.
- A défaut d’émission de titres, la détention des actions peut être attestée par une chaîne sans faille de cessions. On ne saurait toutefois exiger à chaque fois la production de déclarations de cession datant de la fondation de la société car c’est souvent pratiquement impossible. Il convient en l’espèce d’accorder à la société concernée une certaine marge d’appréciation, ce qui devrait être jugé suffisant face à une situation concrète.
- Message (cf. note 1), p. 638.
- Par analogie à l’art. 41 al. 3 OBA-FINMA.
- Concernant l’acquisition, renvoyons aux commentaires donnés au ch. 3.3.
- Kunz, ibid., ch. marginal 32.
- Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier; RS 955.0
- Message (cf. note 1), p. 639.
- Message (cf. note 1), p. 639.
- … et ne profite pas de l’exception visée à l’art. 697j al. 3 CO.
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 12. Ils constatent à juste titre que cette définition très large n’est pas exigée dans les recommandations du GAFI, pas plus qu’elle ne correspond à la notion d’ayant droit économique précisé dans la LBA. Kunz, ibid., ch. marginal 65, est visiblement d’un tout autre avis puisqu’il semble partir de l’applicabilité de l’art. 2 al. 3 LBA aux dispositions du Code des obligations.
- Cf. art. 2 al. 3 LBA et p. 110 des FATF Recommendations.
- Il serait souhaitable que la loi clarifie ce point.
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 12.
- En présence d’actions émises sous forme de titres intermédiés mais non cotées en bourse, les problèmes qui se posent sont identiques. Une possibilité consisterait en l’occurrence, faute de pouvoir constater l’identité de l’ayant droit économique, à déclarer celle du membre le plus haut placé de l’organe de direction de l’acquéreur (cf. art. 2a al. 3 LBA).
- Selon le message, toutes les actions doivent être cotées en bourse pour que le régime d’exception s’applique (message, cf. note 1), p. 639. Glanzmann / Spoerlé ne partagent pas cet avis, à juste titre (Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 12). Voir aussi Lutz / Kern, ibid., p. 308, qui considèrent que cette réglementation doit être comprise comme le fait que l’exception ne porte en l’occurrence que sur les actions cotées et non pas sur les actions non cotées.
- L’art. 697l al. 2 CO dit «cette liste», ce qu’il faut comprendre dans un sens plutôt technique. Si les annonces sont déléguées à un intermédiaire financier, il y aura de fait deux listes dès lors qu’une société a émis à la fois des actions nominatives et des actions au porteur (cf. ch. 7 ci-après). Les annonces relatives aux ayants droit économiques d’actions nominatives sont donc toujours adressées à la société. Une liste unique ne suffit que si la société transmet ces informations à l’intermédiaire financier (cf. Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 15).
- Voir aussi Lutz / Kern, ibid., p. 307.
- Aux termes de l’art. 718 al. 4 CO, une société anonyme doit pouvoir être représentée par une personne domiciliée en Suisse. La révision de la loi a été mise à profit pour instaurer un régime selon lequel cette personne doit avoir accès au registre des actions et à la liste, à moins cette dernière ne soit tenue par un intermédiaire financier. Si deux personnes ont droit de signature collective, il suffit selon nous que l’une d’entre elles au moins ait un accès direct au registre des actions et à la liste.
- A propos des obligations de diligence et de loyauté du conseil d’administration, cf. Adrian Plüss / Dominique Facincani-Kunz, in: Roberto Vito / Trüeb Hans Rudolf (éditeurs), Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, Personengesellschaften und Aktiengesellschaft, Art. 550 – 771, 2. éd., Zurich 2012, Art. 717 OR(note 1 ss).
- Message (cf. note 1), p. 642. Loi fédérale sur la protection des données; RS 235.1.
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 8 s.
- Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 11, avec exposé des motifs. Tant le Conseil des Etats que le Conseil national ont rejeté une proposition minoritaire visant à exclure les bons de participation de l’obligation d’annoncer selon l’art. 697j CO (BO 2014 N 1968 et 1970; BO 2014 p. 734).
- Les statuts peuvent en revanche en déléguer la compétence également au conseil d’administration(cf. note 1, p. 640).
- Message (cf. note 1), p. 641.
- Le message précise expressément que les piècesjustificatives peuvent être numérisées (message,cf. note 1, p. 638).
- Par ailleurs, la loi dispose désormais qu’outre le registre des actions et les livres de la société, il y a lieu de conserver en lieu sûr la liste ainsi que les pièces justificatives qui la sous-tendent pendant une durée de dix ans à compter de la radiation. Enfin, le registre des actions et la liste doivent être conservés de manière qu’il soit possible d’y accéder en Suisse pendant dix ans.
- On ne sait pas très bien si les droits d’information et de contrôle s’éteignent eux aussi, ce qui, logiquement, devrait être le cas selon nous. Cf. Glanzmann / Spoerlé, ibid., p. 16.
- Message (cf. note 1), p. 643.
- Le projet de loi prévoyait en outre des sanctions pénales en cas de non-respect des obligations d’annoncer mais elles n’ont pas été retenues dans le texte définitif.
- Voir aussi Lutz / Kern, ibid., p. 308.
- C’est ce que pensent aussi Lutz / Kern, ibid., p. 307. Par contre, la situation est plus difficile en l’absence d’émission d’actions. Dans ce cas, il ne devrait pas être simple de se légitimer comme actionnaire faute de pouvoir produire des preuves (déclarations de cession) de transferts antérieurs.
- Désormais, il est également interdit de compliquer, par voie statutaire, la conversion d’actions au porteur en actions nominatives. Les dispositions des statuts qui iraient dans ce sens devront être adaptées dans les deux ans, sous peine d’être réputées nulles.
- Si les attributions du conseil d’administration sont reprises par un ou plusieurs liquidateurs, il appartient à ces derniers de veiller au respect de ces dispositions.
- Art. 790a CO.
- Art. 837 CO.