Les nouvelles dispositions relatives à la comptabilité commerciale et à la présentation des comptes entrées en vigueur le 1er janvier 2013 ne prévoient pas d’obligation express de conserver la correspondance commerciale. Seuls les livres, les pièces comptables, le rapport de gestion et le rapport de révision doivent encore être conservés. Le présent article a pour objectif de montrer que l’obligation pénible de conservation de la correspondance commerciale n’en est pas pour autant supprimée.
Le nouveau droit suisse de la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes1 entré en vigueur au 1er janvier 2013 constitue une refonte complète de la présentation des comptes qui remonte à l’année 1936 et qui a été révisée en 1992 et 2002. L’ancien droit n’employait que la notion de «comptabilité commerciale» alors qu’il est désormais question «De la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes».2 Selon les nouvelles dispositions, la comptabilité constitue la base de l’établissement des comptes, toutes les transactions et les autres faits nécessaires à la présentation du patrimoine, de la situation financière et des résultats de l’entreprise (situation économique) devant être enregistrés.3 Les comptes doivent, quant à eux, présenter la situation économique de l’entreprise de façon qu’un tiers puisse s’en faire une opinion fondée.4
Les nouvelles dispositions sont neutres quant à la forme juridique, les exigences à l’égard de la comptabilité et de la présentation des comptes étant graduées en fonction de l’importance économique de l’entreprise.
Le «principe de régularité de la comptabilité» reconnu depuis des décennies est à présent expressément mentionné dans la loi.5
- Les transactions et les autres faits doivent être présentés de façon intégrale, fidèle et systématique.
- Les différents enregistrements doivent être justifiés par une pièce comptable.
- La comptabilité doit être conforme au principe de clarté.
- Elle doit être adaptée à la nature et à la taille de l’entreprise.
- Les enregistrements comptables doivent être traçables.
Comme nous allons le voir, ces principes ont également une incidence sur la réponse à la question de savoir si et si oui quelle correspondance commerciale doit être conservée.
Le contrôle de la comptabilité et de la présentation des comptes implique la conservation des documents afférents. Il convient désormais de conserver les livres, les pièces comptables, le rapport de gestion et le rapport de révision6, la correspondance commerciale n’est plus mentionnée.
Les nouvelles dispositions n’impliquent aucun changement concernant le début, la durée et la forme de l’obligation de conservation, ce qui signifie que celle-ci est toujours de dix ans et débute à la fin de l’exercice commercial. Les livres et les pièces comptables peuvent être conservés comme précédemment sur papier, sous forme électronique ou sous toute autre forme, si les principes consignés dans l’ordonnance sur les livres de comptes7 sont respectés.
Le rapport de gestion et le rapport de révision doivent être conservés sous forme imprimée et signée, ce que le message considère comme une obligation de conservation de l’original.8 Cela ne signifie toutefois pas que ces documents doivent impérativement être établis sur papier et être signés manuellement. L’exigence de forme écrite peut également être satisfaite pour autant que le rapport de gestion et le rapport de révision électroniques soient pourvus d’une signature électronique selon l’art. 14 al. 2bis CO.9 Si les originaux du rapport de gestion et du rapport de révision sont disponibles sous forme électronique, ils devraient être pourvus d’une signature électronique et faire l’objet d’un archivage électronique, notamment parce qu’un contrôle de l’authenticité de la signature électronique n’est plus possible lors d’une impression sur papier. Selon l’opinion défendue dans cet article, il n’est d’ailleurs pas permis de numériser le rapport de gestion ou le rapport de révision pourvu d’une signature manuscrite et de l’archiver sous forme électronique, même si c’est admissible pour les livres et les pièces comptables.
L’obligation de tenir une comptabilité jusqu’à présent applicable incluait expressément la correspondance commerciale dans les documents devant être conservés.10 La correspondance dans sa globalité ne devait pas être considérée comme une partie intégrante de la comptabilité, mais être conservée en complément de celle-ci.11
La question de savoir ce qu’il faut entendre par correspondance commerciale (devant être conservée) est discutée depuis longtemps dans la littérature et a débouché ces dernières années sur des incertitudes juridiques, notamment en relation avec l’archivage des e-mails, avec pour conséquence un archivage excessif.
La littérature plus ancienne estimait déjà que la correspondance commerciale incluait par exemple aussi les procès-verbaux des assemblées générales et des organes de gestion et de contrôle ainsi que les rapports de gestion et les rapports des réviseurs et des organes de contrôle.12 La définition de la correspondance commerciale en tant que «tous les documents échangés avec des tiers ... qui renseignent sur la conclusion et le règlement des actes juridiques» dans le message de 1975 a été jugée trop restrictive, car d’autres communications peuvent également faire partie de la correspondance et avoir une incidence juridique.13
La littérature moderne est relativement unanime quant à l’interprétation assez large de la notion de correspondance commerciale, qui inclut tous les documents entrants et sortants ou établis en interne dont le contenu a une incidence, quelle qu’elle soit, sur le bilan. Ceci inclut également les contrats et les e-mails pour autant qu’ils contiennent des éléments essentiels pour les actes juridiques et la position juridique de l’entreprise.14
Le contenu d’un document est déterminant pour savoir si quelque chose relève de la correspondance commerciale, quel que soit son format. Compte tenu des nouvelles formes de la communication commerciale, les messages sur la page Facebook d’une entreprise ainsi que les SMS peuvent certainement aussi être qualifiés de correspondance commerciale.
Conformément au message concernant le nouveau droit comptable15, toute la correspondance commerciale devait jusqu’à présent être conservée, même si elle n’avait aucune valeur pour la comptabilité et la présentation des comptes. La prudence est toutefois de mise lors de l’interprétation de cette déclaration. Ainsi, selon l’opinion défendue ici, chaque lettre, chaque e-mail ou chaque fax ne devait pas non plus être conservé précédemment. Selon l’art. 957 al. 1 aCO, l’obligation de tenir une comptabilité avait pour but de présenter la situation financière, de constater les dettes et les créances et d’établir le résultat. Les documents qui ne contenaient pas d’informations pertinentes au sens évoqué ne relevaient en principe pas de l’obligation de conservation.
Selon le nouvel art. 957a CO, les différents enregistrements doivent pouvoir être attestées au moyen de pièces comptables.16 Tout document écrit, qu’il soit établi sur un support papier, électronique ou sous toute forme équivalente, doit être considéré comme pièce comptable s’il permet la vérification de la transaction ou de l’événement à la base de l’enregistrement.17 Le message indique expressément que, selon les circonstances, la correspondance peut toutefois valoir comme pièce justificative, et dans ce cas elle doit être conservée.18
La correspondance commerciale qui n’a aucune valeur pour la comptabilité n’a pas besoin d’être conservée. C’est notamment le cas quand elle pourrait justifier de manière équivalente une transaction déjà documentée par une pièce comptable.
Il est ainsi clairement établi que la suppression par le législateur de la correspondance commerciale dans la liste des documents à conserver à l’art. 958f al. 1 CO et dans l’ordonnance sur les livres de comptes ne libère pas fondamentalement les entreprises soumises à l’obligation de tenir une comptabilité de leur obligation de conserver la correspondance commerciale.
Conformément à la nouvelle obligation de tenir une comptabilité et de présenter des comptes, la correspondance commerciale doit donc également être conservée quand les conditions suivantes sont réunies:
- la correspondance commerciale atteste des faits ou une transaction à l’origine d’une écriture et
- il n’y a aucune pièce comptable justifiant de manière équivalente les mêmes faits ou la même transaction.
Les entreprises doivent donc décider au cas par cas, au gré des circonstances, s’il leur faut conserver une offre, un courrier commercial, un e-mail ou toute autre correspondance. Le principe de régularité de la comptabilité doit de nouveau être respecté lors de cette décision. Si la conservation d’un document est nécessaire afin de pouvoir contrôler la comptabilité, ce qui dépendra généralement de la nature et de la taille de l’entreprise, elle ne doit pas non plus être détruite selon le nouveau droit.
La comptabilité et la présentation des comptes doivent être adaptées à la nature et à la taille de l’entreprise. Des directives internes doivent donc être élaborées à propos des documents commerciaux à conserver et des autres consignes organisationnelles et techniques à respecter lors de la conservation, notamment dans la perspective des obligations de diligence de l’entreprise, comme c’était déjà le cas selon les dispositions légales en vigueur précédemment.
Les obligations de conservation dans le droit de la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes ne représentent toutefois qu’une partie des dispositions légales à prendre en compte à cet égard. Toutes les autres dispositions pertinentes qui exigent directement ou indirectement la conservation des documents commerciaux doivent en outre être respectées. Elles peuvent avoir pour conséquence qu’une correspondance qui pourrait être détruite selon le nouvel art. 957 ss CO doit néanmoins être conservée ou être conservée plus de dix ans.
Il faut ainsi s’assurer que sont conservés tous les documents qui pourraient servir de preuve19 à une date ultérieure. Il s’ensuit qu’un e-mail qui ne constitue par exemple pas une pièce comptable selon la définition de l’art. 957a al. 3 CO doit néanmoins être conservé s’il peut, du fait de son contenu, servir de preuve dans un futur litige. On peut par exemple envisager qu’une date convenue par contrat pour la réception globale d’un projet informatique soit reportée par e-mail. Un tel e-mail ne constitue pas une preuve pour une opération comptable, mais peut avoir une importance capitale pour faire valoir une indemnité de retard.
Le droit fiscal renvoie généralement aux dispositions du droit commercial pour ce qui est de l’obligation de conservation. Il n’en existe pas moins souvent des différences significatives. Ainsi, l’Info TVA 1620 renvoie en principe au Code des obligations en ce qui conserve les documents à conserver, mais cite aussi parmi les justificatifs à conserver les correspondances, les rapports de travail, les cartes d’atelier, les bons d’achat de matériel, etc. Les justificatifs de TVA doivent dans tous les cas être conservés jusqu’à la prescription de la créance fiscale. Conformément à l’art. 70 al. 3 LTVA, les justificatifs en relation avec des biens immobiliers doivent en outre être conservés pendant 20 ans.
De nombreuses branches connaissent des directives arrêtées dans une législation spéciale qui ont une incidence sur les documents à conserver et sur la durée de l’obligation de conservation. Elles ont souvent pour conséquence que des documents qui relèvent de la correspondance commerciale doivent être conservés même s’ils ne constituent pas des justificatifs comptables. Ainsi, les entreprises cotées en Bourse doivent par exemple publier sur leur site Internet des faits ayant potentiellement une incidence sur leur cours et y proposer un service permettant à toute personne intéressée de recevoir gratuitement et en temps quasi réel par e-mail des informations importantes pour le cours.21 Les entreprises qui fournissent de l’électricité aux consommateurs finaux en Suisse doivent les informer au moins une fois par an sur la part en pour-cent des agents énergétiques utilisés sur la quantité d’électricité fournie, l’origine de l’électricité (production nationale ou étrangère), l’année de référence, le nom de l’entreprise soumise à l’obligation de marquage et le service de cette entreprise à contacter.22 Les hôpitaux qui sont fréquemment gérés aujourd’hui sous forme de société anonyme doivent tenir des dossiers de patients et généralement les conserver jusqu’à 10 ans après la conclusion du dernier traitement.23
L’introduction du principe de justification dans le nouveau droit de la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes ne dispense pas les entreprises de façon générale de l’obligation de conservation des correspondances commerciales. Les nouvelles dispositions visent une présentation fiable de la situation économique de l’entreprise, raison pour laquelle les correspondances commerciales sans aucune valeur pour la comptabilité n’ont plus besoin d’être conservées.
L’entreprise doit elle-même déterminer quels documents sont requis afin d’attester de sa propre comptabilité et doit tenir compte pour cela de la nature et de la taille de l’activité.
Une mise en œuvre correcte et rigoureuse des exigences légales suppose l’établissement de directives internes à l’entreprise concernant les documents à conserver, la durée de conservation et les procédures à appliquer. Il est à noter que des e-mails, des communiqués sur le site Internet ou sur la page Facebook de l’entreprise, voire des SMS, peuvent constituer des éléments de preuve dans un litige éventuel. Ils devraient être conservés jusqu’à l’expiration des délais de prescription correspondants dans le propre intérêt de l’entreprise. Les directives arrêtées dans une législation spéciale en vigueur dans de nombreuses branches qui peuvent prescrire la conservation de la correspondance commerciale, directement ou indirectement, doivent tout particulièrement être prises en compte.
Selon l’opinion défendue dans cet article, les nouvelles dispositions ne se sont donc pas traduites pour les entreprises par un allègement notable en ce qui concerne l’obligation de conservation de la correspondance commerciale.
- Communiqué de presse du DFJP du 22.11.2012: Entrée en vigueur du nouveau droit comptable le 1er janvier 2013, consultable sur http://www.ejpd.admin.ch/content/ejpd/fr/home/dokumentation/mi/2012/2012-11-22.html (situation au 25.02.2013).
- Meier-Hayoz Arthur / Forstmoser Peter, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 11e éd., Berne 2012, p. 212.
- Art. 957a al. 1 CO.
- Art. 958 al. 1 CO.
- Art. 957a al. 2 CO.
- Art. 958f CO.
- Ordonnance du 24 avril 2002 sur la tenue et la conservation des livres de compte (Ordonnance sur les livres de comptes, Olico); RS 221.431.
- Message concernant le nouveau droit comptable du 21.12.2007 (FF 2008 1589 ss), p. 1704.
- A propos de l’art. 958f CO, à la p. 1704, le message précise que les livres et les pièces comptables doivent être pourvus d’une signature électronique qualifiée, s’ils sont conservés sous forme électronique. Il s’agit visiblement d’une erreur, car l’ordonnance sur les livres de comptes qui n’exige pas de signature électronique qualifiée s’applique à la conservation sous forme électronique des livres et des pièces comptables.
- Art. 957 al. 2 aCO.
- Käfer Karl, in: Berner Kommentar, Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht, Band VIII: Obligationenrecht, 2. Abteilung: Die kaufmännische Buchführung, 1. Teilband: Grundlagen und Kommentar zu Artikel 957 OR, Berne 1981, N 156.
- Käfer Karl, in: Berner Kommentar, Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht, Band VIII: Obligationenrecht, 2. Abteilung: Die kaufmännische Buchführung, 2. Teilband: Kommentar zu den Artikeln 958 – 964 OR, Berne 1981, OR 962 N 37.
- BK-Käfer, OR 957 N 156.
- Neuhaus Markus R. / Scherrer Christoph, in: Honsell Heinrich / Vogt Nedim Peter / Watter Rolf (éd.), Basler Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht, OR II (Art. 530 – 964 OR, Art. 1 – 6 SchlT AG, Art. 1 – 11 Übest GmbH), 4e éd., Bâle 2012, OR 957 N 22.
- Message concernant le nouveau droit comptable du 21.12.2007 (FF 2008 1589 ss), p. 1704.
- Art. 957a al. 2 ch. 2 CO.
- Art. 957a al. 3 CO.
- Message concernant le nouveau droit comptable du 21.12.2007 (FF 2008 1589 ss), p. 1698.
- Conformément à l’art. 8 CC, chaque partie doit prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit.
- Info TVA 16 «Comptabilité et facturation», consultable sur www.estv.admin.ch (état au 25.02.2013).
- Art. 53 du Règlement de cotation de SIX en relation avec l’art. 8 et 9 de la Directive concernant la publicité événementielle, consultables sur http://www.six-exchange-regulation.com/regulation/listing_rules_de.html (état au 25.02.2013).
- Art. 1a de l’ordonnance du 7 décembre 1998 sur l’énergie (OEne), (RS 730.01).
- A titre d’exemple parmi de nombreux autres, il est possible de renvoyer ici à la loi sur la santé du canton de Zoug qui dispose au § 36 que le dossier du patient doit renseigner sur l’examen, le diagnostic, le traitement, les soins et les mesures de contrainte éventuelles.