La cessation de mandats peut entraîner différents problèmes. L’auteur présente les problématiques éventuelles en s’appuyant sur deux cas soumis à la Commission de déontologie de FIDUCIAIRE|SUISSE. Dans les deux cas, la Commission de déontologie a certes confirmé la violation du règlement de déontologie, mais a renoncé à l’application de sanctions pour différentes raisons.
Des problèmes surviennent parfois à la cessation d’un mandat. Le cas reproduit ci-après concerne l’extinction d’un mandat suite au décès du mandant (de longue date). Son fils ayant poursuivi l’activité du père et s’étant adressé à plusieurs reprises à son fiduciaire pour des demandes de renseignements sans lui confier de mandat, le membre a estimé être en droit de facturer ces prestations. Précédemment, le membre avait demandé au fils s’il pouvait lui passer une commande de vin à des conditions préférentielles, comme il le faisait déjà auprès de son père, ce que ce celui-ci a accepté et exécuté. La facturation est importante à deux égards dans le cas présent. La Commission de déontologie a dû entrer en matière suite à la dénonciation du client. Elle a finalement clôturé la procédure jugée comme une bagatelle et renoncé à un blâme, ce motif étant recevable en vertu du règlement relatif à la procédure.
Par la présentation de cette facture, le membre a confirmé l’existence d’un mandat avec le dénonciateur. Toutefois, le dénonciateur conteste l’existence d’un tel mandat entre eux. S’il était une tierce personne, sa dénonciation ne ferait pas du tout l’objet d’un traitement dans le cadre de la présente affaire puisqu’elle ne remplirait pas les conditions requises par l’art. 5 al. 2 du Règlement relatif à la procédure. Après la confirmation par le Membre (et non par le dénonciateur) de l’existence d’une relation client avec le dénonciateur, il y a lieu d’entrer en matière sur la dénonciation.
Le dénonciateur émet les griefs suivants: à la demande du Membre et pour lui rendre service, le dénonciateur a passé une commande de vins aux conditions avantageuses dont il bénéficiait auprès de l’un de ses fournisseurs. La livraison a été effectuée auprès du Membre. La facture résultant de la commande de vins – déjà acquittée par le dénonciateur – a fait l’objet d’une demande de remboursement du dénonciateur. En guise de «réponse», il reçut par retour du courrier une facture du Membre pour de prétendues prestations fournies. Celui-ci a alors déduit de la somme de la livraison de vins le montant de sa propre facture. Le dénonciateur considère que la facture du Membre est injustifiée parce qu’il n’a jamais donné un tel mandat et voit en cette facture une compensation inadmissible.
De son côté, le Membre soutient qu’il avait déjà entretenu une relation de mandat avec le père du dénonciateur, récemment décédé et que – dans la droite ligne des services exécutés – des prestations liées à l’ancienne relation de mandat ont également été fournies à la demande du dénonciateur. Aussi a-t-il pensé qu’il était autorisé à poursuivre les commandes de vin à des conditions avantageuses comme c’était déjà le cas avec le père du dénonciateur.
La divergence d’opinions entre les deux parties repose sur la question de principe de l’attitude à adopter face aux héritiers d’un client décédé. Même s’il existait une relation de mandat avec ce dernier (et si des factures éventuellement impayées doivent être réglées par les héritiers conformément aux règles successorales), il ne s’ensuit pas automatiquement que cette relation de mandat se poursuive avec les héritiers.
Après le décès de son père, le dénonciateur pouvait sans doute s’adresser au Membre pour lui demander de l’aide quant aux éventuelles questions relatives à la comptabilité qu’il tenait pour le compte de son père. Cette prestation, achevant ainsi l’ancien mandat, fait en principe partie de l’obligation de rendre compte sans qu’une facture puisse être établie séparément à cet effet. En outre, on ne peut pas encore conclure à l’existence d’un mandat à partir de cette demande. La fiduciaire est bien entendu libre de poser la question aux héritiers au sujet de l’attribution d’un nouveau mandat ou même celle d’une simple rémunération. A ce sujet, il dispose également d’une grande marge d’appréciation pour décider du bon moment pour une telle initiative.
Dans le cas présent, le Membre n’a à aucun moment informé le dénonciateur qu’il le considérait comme client. Pourtant, des occasions de le faire existaient, par exemple lorsque le Membre a été sollicité par le dénonciateur pour lui rechercher et collecter des documents. Du moins, il aurait pu réclamer une indemnité pour cette prestation. Une clarification de la relation de mandat aurait pu être signalée au plus tard lorsque le Membre a demandé au dénonciateur s’il pouvait poursuivre les commandes de vin aux conditions avantageuses dont il avait déjà profité du vivant de son père.
Cette façon de se procurer des avantages n’est pas atypique dans une relation de mandat, mais elle est impensable chez des tiers. Au moment de solliciter la poursuite de l’habitude prise avec le père du dénonciateur, le Membre aurait dû l’informer qu’une relation contractuelle s’établissait et qu’il allait par conséquent lui facturer ses prestations. Cependant, le Membre n’a pas clarifié l’existence de la relation de mandat – ni même lorsqu’il a sollicité la poursuite de la coutume prise avec le père – et il a simplement établi une facture postérieurement. Sur ce point, il a violé l’obligation de bonne conduite.
S’agissant d’une bagatelle sur le plan déontologique, la Commission de déontologie classe sans suite la dénonciation.
Le mandat doit certes être exécuté diligemment, mais sa cessation requiert également le plus grand soin et implique d’emblée des conséquences. Cet exemple montre les conséquences d’un manque de cohérence, qui débouche au final sur un comportement incontrôlé. Le cas présenté ci-après concerne le retrait d’un mandat par le mandant en raison d’une divergence d’opinion quant au montant de la facture.
La dénonciatrice soutient que le Membre a réalisé pour elle les déclarations d’impôts de 2009, 2010 et 2011. Trois ans après l’établissement de la première déclaration d’impôt, la dénonciatrice aurait reçu, le 1er mars 2013, une facture pour un montant total de 2400 CHF pour ces déclarations. Le 15 mars 2013, elle aurait demandé au Membre une explication sur le besoin supplémentaire significatif d’heures nécessaires par rapport aux déclarations de 2008 et 2012. Le 31 mars 2013, elle aurait demandé au Membre par courriel la communication des documents fiscaux de 2012. En l’absence de réponse, il aurait réitéré le 1er août 2013 par courriel sa demande de retour des documents fiscaux de 2012. D’autres demandes auraient suivi, le 1er septembre 2013 par courriel et par téléphone début octobre. Le 1er octobre 2013, le Membre aurait proposé à la dénonciatrice une réduction du montant de la facture à 1950 CHF. Aucun motif n’aurait été mentionné pour cette remise. Le 10 octobre 2013, la dénonciatrice aurait reçu les documents fiscaux pour l’année 2012. Le 31 octobre 2013, elle aurait transféré 550 CHF au Membre comme preuve de sa volonté de payer et de sa disposition à négocier; il s’agirait du prix des déclarations de 2009, 2010 et 2011 que la dénonciatrice aurait établi en fonction de la déclaration de 2008. Dans l’échange de courriels qui a suivi, des réponses seraient certes parvenues du Membre, mais pas aux questions posées par la dénonciatrice. Le Membre lui aurait communiqué par courriel le 1er décembre 2013 qu’il ne passerait plus de temps sur ce cas. Le 31 décembre 2013, la dénonciatrice aurait payé la différence de 1400 CHF par rapport au montant de la facture réduite de 1950 CHF exigée par le Membre. Le 1er février 2014, la dénonciatrice aurait reçu un commandement de payer de 450 CHF, qui représentait la différence avec le montant initial de la facture de 2400 CHF.
Le Membre a répondu que la facture d’autrui pour l’année 2008 jointe par la dénonciatrice pour comparaison montrait que les prestations réalisées avaient été moins étendues. Aucune indication de correspondance ultérieure avec les autorités fiscales ou concernant un contrôle du calcul de l’impôt ne serait visible. Ses propres prestations ne se seraient pas limitées à l’établissement des déclarations d’impôts, mais auraient compris la vérification des calculs d’impôts, la correspondance avec l’administration fiscale et une réunion avec la dénonciatrice. De toute façon, l’étendue des prestations facturées correspondrait aux prestations fournies. Celle-ci n’aurait également jamais exigé de facture ni de devis. La facture aurait été détaillée à la dénonciatrice le 24 mars 2013 à l’aide des documents justificatifs, la dénonciatrice aurait d’ailleurs remercié pour ces explications. Une réduction de la facture aurait été proposée à la dénonciatrice. Celle-ci aurait été exceptionnelle et destinée à mettre un terme au litige. Ellene correspondrait en aucun cas à la reconnaissance d’une surévaluation de la facture initiale. Il serait surprenant que la dénonciatrice se plaigne encore de ne pas avoir reçu dejustification pour cette réduction. Le Membre reconnaît que la dénonciatrice a demandé le 31 mars 2013 la restitution des documents pour la déclaration de 2012. De la même façon, le Membre reconnaît que la dénonciatrice a renouvelé sa demande au Membre dans ce sens. Le Membre tient à insister sur le fait qu’il n’a pas conservé volontairement, mais plutôt par inattention, les documents fiscaux de 2012, ce pourquoi il présente ses excuses. La correspondance ne mentionnerait d’ailleurs aucune intention de conserver les documents. Les explications à fournir à la dénonciatrice sur la note d’honoraires auraient également pris un temps considérable, c’est pourquoi le contact a été interrompu le 1er décembre 2013. Il serait aussi vrai que, après réception du paiement de 1400 CHF début 2014, qui soldait totalement la facture réduite, un autre courriel du 13 janvier 2014 n’aurait plus reçu de réponse. Le Membre reconnaît que la dénonciatrice aurait fait l’objet d’une poursuite suite à une erreur interne. Début avril 2014, le Membre aurait retiré la poursuite et se serait excusé par écrit auprès de la dénonciatrice.
Seuls les points suivants sont pertinents pour le jugement:
- Le Membre s’est-il rendu coupable d’une violation des obligations de déontologie pour ne pas avoir établi de factures régulières pour les déclarations d’impôts de 2009 à 2011, mais seulement la première fois le 8 mars 2013?
- Le Membre s’est-il rendu coupable d’une violation des obligations de déontologie en ne renvoyant que le 12 octobre les documents exigés le 24 mars 2013 relatif à la déclaration d’impôts de 2012?
- Le Membre s’est-il rendu coupable d’une violation des obligations de déontologie en déposant une procédure à l’office des poursuites pour le montant de 450 CHF?
Il est en effet inhabituel qu’un Membre facture seulement le 1er mars 2013 ses prestations pour des déclarations d’impôts de 2009 à 2011. Il ne peut s’agir ici d’un délai approprié, comme prévu par l’art. 7 al. 3 du Règlement de déontologie. En revanche, le Membre a satisfait à ses obligations de déontologie en apportant rapidement des explications détaillées sur sa facture. Il ne revient cependant pas à la commission de déontologie de juger du montant de la facture ni de l’étendue des prestations sous-jacentes. Dans la pratique courante, la Commission de déontologie renonce en effet, sauf cas exceptionnels, à aborder les montants des factures. Dans le cas présent, il n’existe également pas de raison de le faire, le montant de la facture – réduite – ayant été payé. Par ailleurs, la tentative de comparaison de la dénonciatrice avec les factures d’autres sociétés fiduciaires n’est pas appropriée, car l’étendue des prestations n’est pas comparable.
Le reproche fait par la dénonciatrice concernant la retenue des documents fiscaux de 2012 est partiellement recevable. Le Membre ne peut pas expliquer de façon totalement convaincante la longue durée – environ sept mois et demi – de conservation des documents, et la mention que la correspondance ne contenait pas une telle intention ne dégage pas le Membre de sa responsabilité. Il faut reconnaître au Membre que la communication du retrait du mandat du 31 mars 2013 a été faite par courriel. Un courriel n’a pas la même valeur qu’une lettre et n’est certainement pas le moyen le plus approprié pour une résiliation ou la demande de restitution de documents, indépendamment du fait que les courriels peuvent notoirement passer facilement inaperçus chez les collaborateurs. Concernant les deux communications ultérieures, sous forme de courriels également,des 1er août 2013 et 1er septembre 2013, le Membre a réagi certes encore une fois avec un certain retard, mais finalement par courrier le 10 octobre 2013 avec la restitution des documents fiscaux de 2012. Avec la réduction parallèle de la facture à 1950 CHF, le Membre a eu une réaction appropriée dans une telle situation. Globalement, aucun reproche n’est à faire au Membre sur ce point. Pour la même raison, la communication ayant eu lieu exclusivement par courriel, aucun reproche ne peut être fait au Membre concernant le déroulement peu satisfaisant – du point de vue de la dénonciatrice – de la communication et de la correspondance entre mars 2013 et décembre 2013.
En revanche, la poursuite déposée en février 2014 pour le montant de 450 CHF est inacceptable. Le Membre ne fait pas valoir un retard de paiement de la facture réduite par la dénonciatrice par rapport au délai fixé, mais il évoque une erreur. Or, l’objection est seulement fondée globalement, l’erreur n’est pas expliquée et ne semble également pas crédible. Les commandements de payer à l’encontre de clients (même anciens) sont, dans les sociétés fiduciaires, du ressort de la direction et la longue période avant le retrait de la poursuite et la formulation des excuses vont à l’encontre d’une erreur dans la procédure.
En résumé, le Membre a violé deux fois le Règlement de déontologie, lors de l’établissement tardif de la facture et lors de l’envoi d’un commandement de payer à son ancien client. Le retard dans la restitution du dossier n’est pas imputable au Membre. La renonciation à une communication par écrit pour la résiliation du mandat et la suite de la communication avec des interruptions permettent d’expliquer ce comportement. La cause sous-jacente à l’ensemble du litige a été l’établissement tardif de la facture par le Membre. Même si, suite à la séparation d’avec la dénonciatrice et la fin du mandat, une dynamique propre de ce type peut de temps à autre s’enclencher dans ces situations, il est possible de comprendre en partie le comportement du Membre ouvrant la poursuite, mais pas de l’excuser. Le Membre est reconnu coupable de violation de l’obligation de rendre compte et de non-respect du principe de la bonne foi.
La Commission de déontologie renonce cependant à une sanction. Elle reconnaît ainsi l’importance de la dynamique propre évoquée précédemment, particulièrement évidente dans ce cas. Au lieu, pour le Membre et la dénonciatrice, de s’employer à mettre un terme à ce litige de façon appropriée, ils l’ont – inutilement – constamment alimenté chacun à leur tour. La Commission de déontologie n’est pas conçue pour sanctionner unilatéralement le Membre dans les cas de «pari turpitudine», conformément à l’art. 10 al. 1 let. c du Règlement relatif à la procédure, selon lequel il convient de clore la procédure lorsque la dénonciation n’est pas de bonne foi.