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Le Tribunal fédéral délimite la possibilité d’octroi de prêts intragroupe et engendre, avec son arrêt, des incertitudes juridiques concernant les conséquences sur l’établissement du bilan et la distribution de dividendes. Il a toutefois clarifié les choses en ce sens que les agios peuvent être utilisés pour la distribution de dividendes.

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1. Introduction
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Dans l’arrêt Swisscargo1 qu’il vient de rendre récemment, le Tribunal fédéral s’est exprimé pour la première fois sur des questions de droit jusqu’à présent controversées, qui concernaient notamment le système de zero balancing cash pool pratiqué au sein du groupe Swissair. Dans ce système, chacune des sociétés du groupe participantes avait son propre compte auprès de la banque gérant le pool. A la fin de chaque journée, la banque compensait tous les comptes des participants au crédit ou au débit du master account détenu par le chef de file du cash pool (cash pool master), dans ce cas une filiale de la société mère du groupe ayant son siège aux Pays-Bas, de manière à ce qu’ils présentent quotidiennement un solde nul (zero balance). Les soldes positifs étaient transférés sur ce master account et les soldes négatifs étaient équilibrés. Au plan juridique, le cash pool se base sur un «Reciprocal Framework Agreement» qui contraint le cash pool master et les différentes sociétés du groupe à s’accorder mutuellement des prêts.

Nous pouvons tirer les conclusions essentielles suivantes de l’arrêt du Tribunal fédéral2:

  1. L’action en responsabilité (selon l’art. 754 ss CO) n’est pas subsidiaire à l’action en restitution (selon l’art. 678 CO).3
  2. Les dispositions du droit de la société anonyme relatives à la protection du capital fixent des limites à l’octroi de prêts intragroupe. Ceux-ci doivent être accordés aux conditions du marché ou de tiers pour ne pas être qualifiés de distribution déterminante selon le droit de la protection du capital. En présence de conditions non conformes au marché, une réserve spéciale bloquée doit être constituée.4 Le principe de la date critère s’applique.5
  3. L’agio d’une société anonyme ne constitue pas un capital protégé par l’interdiction de restitution de versements (art. 680 al. 2 CO) et peut être distribué sous forme de dividende, en tant que composante de la réserve légale générale (non bloquée).6

Nous reviendrons en détail ci-après sur les considérants du Tribunal fédéral concernant les dispositions relatives à la protection du capital et l’agio. Cet article ne prétend pas traiter d’une manière scientifique exhaustive les questions posées par l’arrêt du Tribunal fédéral. Il vise avant tout à esquisser les conséquences pratiques qui en résultent.

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2. Contexte de la décision Swisscargo
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La procédure devant le Tribunal fédéral portait sur une action en responsabilité selon le droit de la société anonyme intentée par Swisscargo SA en liquidation concordataire à l’encontre de son ancien organe de révision.7

S’appuyant sur le bénéfice au bilan de 29,17 millions de francs disponible au 31 décembre 2000, le conseil d’administration de Swisscargo SA avait proposé à l’assemblée générale la distribution d’un dividende à hauteur de 28,5 millions de francs. L’organe de révision avait confirmé la légalité et la conformité aux statuts de cette proposition.8

Le bilan de clôture affichait à l’actif des prêts intragroupe à hauteur de 23,65 millions de francs, que Swisscargo avait accordés à une société sœur (prêt «cross-stream») et à la société mère du groupe ou à la société détenant sa société mère (prêt «up-stream»).9 Dans son action, Swisscargo SA en liquidation concordataire a fait valoir que ces prêts intragroupe auraient dû être pris en compte comme fonds propres, avec pour conséquence que seul un montant de 6,77 millions de francs aurait été disponible pour la distribution de dividendes.10

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3. Les prêts intragroupe à la lumière des dispositions relatives à la protection du capital
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3.1 Considérants du Tribunal fédéral
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Le Tribunal commence par rappeler que la protection du capital énoncée dans le droit de la société anonyme constitue l’un des principes essentiels de ce dernier11 et qu’elle est de ce fait protégée par un grand nombre de dispositions contraignantes, notamment par l’interdiction de la restitution des versements selon l’art. 680 al. 2 CO12. La jurisprudence déduirait de cette interdiction une interdiction de remboursement du capital à laquelle serait également tenue la société13.

Le Tribunal fédéral indique ensuite que la doctrine majoritaire regrouperait les prêts cross- et up-stream sous l’interdiction de la restitution des versements et fixerait ainsi des limites à l’octroi de prêts intragroupe. Au regard du droit de la protection du capital, de tels prêts constitueraient des distributions, pour autant qu’ils ne satisfont pas au test du tiers14, autrement dit s’ils ne sont pas octroyés aux conditions du marché ou de tiers.

Même si les fonds utilisés pour accorder les prêts ne sont pas protégés par l’art. 680 al. 2 CO, le Tribunal estime que les prêts intragroupe non conformes au marché entraînent un blocage de fait des fonds propres librement disponibles avec les conséquences correspondantes sur la distribution de dividendes. Le Tribunal fédéral suit ainsi une doctrine selon laquelle un tel blocage de fait est nécessaire afin de remédier au risque de double emploi des mêmes fonds propres. A l’instar du rachat des propres actions (art. 659a al. 2 CO), la société doit être tenue d’afficher séparément en tant que réserve une somme correspondant au montant des prêts intragroupe non conformes au marché.15 Tout comme le capital-actions, cette réserve agirait comme un blocage à la distribution.16

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a ainsi accordé une importance capitale au test du tiers pour l’appréciation de la licéité de la distribution de dividendes. En l’espèce, il a estimé que le test avait échoué, sans entrer en détail sur les arguments avancés par l’organe de révision actionné. Il s’est uniquement appuyé sur les faits incontestés que les prêts litigieux n’avaient pas été garantis et que l’organe de révision n’avait pas affirmé s’être penché sur la solvabilité de la débitrice pour conclure que les prêts n’étaient pas conformes aux conditions de tiers.17

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3.2 Observations
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3.2.1 Non prise en compte de la situation du groupe
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Dans ses considérants sur les limites des prêts intragroupe résultant des dispositions en matière de protection du capital du droit de la société anonyme, le Tribunal fédéral a ignoré la réalité du groupe. Il s’est au contraire contenté d’apprécier les processus internes au groupe concernant le zero balancing cash pooling comme une pure problématique de prêt entre deux sociétés totalement indépendantes l’une de l’autre.

Aussi, son arrêt reflète-t-il une fois de plus que le droit suisse de la société anonyme ne convient pas aux situations de groupe, à l’exception de quelques aspects, notamment la présentation des comptes,18 et se base au contraire sur le principe d’autonomie de chaque société (du groupe)19. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le respect des dispositions en matière de protection du capital, telles que l’art. 680 al. 2 CO.

Il est regrettable que le Tribunal fédéral ait totalement renoncé à considérer la situation du groupe lors de l’appréciation des prêts intragroupe, car il occulte ainsi la réalité.20 L’économie actuelle est marqué par les structures de groupes et les processus engagés à l’intérieur d’un groupe peuvent tout au plus être considérés comme des relations entre sociétés externes au groupe si l’adhésion au groupe fait défaut.

A cela s’ajoute le fait que les opérations de paiement internes au groupe poursuivent souvent et principalement d’autres objectifs que la seule acquisition de liquidités. Notamment lors du cash pooling en tant que forme particulière du financement intragroupe, il s’agit d’une part de parvenir à une gestion efficace des liquidités en mettant les liquidités excédentaires à la disposition de la société du groupe qui présente un besoin correspondant. D’autre part, un cash pooling présente également des avantages dans les relations extérieures au groupe. Ainsi, un groupe ou les différentes sociétés qui le composent peuvent par exemple profiter de meilleures conditions de taux.21 La perspective individuelle stricte adoptée par le Tribunal fédéral dans son arrêt s’oppose par conséquent aussi aux opérations de financement à l’intérieur d’un groupe et aux contrats correspondants22.

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3.2.2 Ecart par rapport à la pratique actuelle
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Dans son arrêt, le Tribunal fédéral remet en cause l’utilisation à ce jour des prêts cross- et up-stream. Il semble penser que tout prêt intragroupe qui n’a pas été accordé aux conditions du marché, c.-à-d. qui ne satisfait pas au test du tiers, doit automatiquement être qualifié de distribution dissimulée de bénéfice.23 Selon cette opinion, les prêts intragroupe ne peuvent donc plus être distribués à la charge du capital lié s’ils réussissent le test du tiers.

Par ces considérants, le Tribunal fédéral s’écarte de l’appréciation de la pratique. Celle-ci qualifie les prêts intragroupe de distributions dissimulées de bénéfice, s’il existe un déséquilibre flagrant entre la prestation et la prestation en retour, après prise en compte de tous les aspects de l’attribution du prêt.24 Un tel déséquilibre se produit notamment si l’emprunteur est d’emblée dans l’incapacité de procéder au remboursement ou s’il n’a dès le départ pas l’intention de rembourser le prêt.25 Même si les prêts intragroupe n’ont pas été consentis aux conditions du marché, ceci est uniquement considéré comme un indice de l’absence de volonté de rembourser.26

En cas d’écart flagrant par rapport aux conditions de tiers, par exemple en l’absence de garantie alors que de tels prêts étaient habituellement garantis, Glanzmann / Wolf considèrent par ailleurs qu’il peut s’agir d’une supposition réfutable de distribution dissimulée.27 Ils rappellent à juste titre que cette hypothèse peut être réfutée en apportant la preuve que l’exigence de remboursement est toujours valable sans que l’écart évident par rapport aux conditions de tiers soit compensé par d’autres avantages résultant par exemple de l’appartenance au groupe.28

Comme indiqué, le Tribunal fédéral n’a toutefois pas tenu compte des avantages (financiers) dont profite29 une société de groupe en raison de son appartenance au groupe.30 Il maintient ainsi son opinion mesurée par rapport aux intérêts du groupe déjà défendue à d’autres occasions.31

Le fait que les demandes de remboursement dans la décision Swisscargo étaient effectivement valables est prouvé par le fait que les prêts litigieux ont effectivement été remboursés, comme le montre aussi le jugement rendu par le tribunal de commerce.32 Le tribunal de commerce et le Tribunal fédéral n’ont toutefois pas entendu ce fait33 en renvoyant au principe de la date critère, ce qui est critiqué à juste titre.34

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3.2.3 Absence de sécurité juridique concernant les critères du test du tiers
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Le Tribunal fédéral a estimé que le test du tiers n’était pas réussi, mais a omis d’instaurer la sécurité juridique nécessaire dans la pratique en ce qui concerne les critères à prendre en compte pour l’évaluation du prêt intragroupe. Comme nous venons de le montrer, ce test du tiers est important dans la perspective de la protection du capital, notamment de l’interdiction de la restitution des versements, et donc pour l’affectation du bénéfice de l’exercice à la distribution de dividendes, raison pour laquelle les entreprises et leurs services comptables ainsi que leurs organes de révision ont d’autant plus besoin d’une sécurité juridique.

Dans l’exposé de ses motifs, le Tribunal fédéral a certes laissé entendre qu’il considérait la garantie des prêts intragroupe ainsi que le contrôle de la solvabilité des débiteurs respectifs au sein du groupe comme des critères importants et essentiels du test du tiers. L’arrêt n’indique cependant pas si et, le cas échéant, quels autres critères doivent être utilisés et quelle est l’importance de la valeur de la demande de remboursement de la société.35

L’un dans l’autre, il subsiste donc une incertitude quant aux critères qu’une entreprise et l’organe de révision doivent globalement utiliser pour le test du tiers et comment ces critères doivent être pondérés individuellement et dans leurs interactions mutuelles, pour que les prêts intragroupe puisse être jugés conformes aux conditions du marché, sur la base d’une évaluation de l’ensemble des circonstances36.

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3.2.4 Obligation douteuse de constitution de réserves
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Comme évoqué précédemment, le Tribunal fédéral oblige une entreprise à constituer une réserve à hauteur de la valeur du prêt pour tout prêt cross- et up-stream qui ne satisfait pas au test du tiers.37 A titre de justification, le Tribunal fédéral indique que les prêts intragroupe qui ne sont pas consentis aux conditions du marché entraîneraient un blocage de fait des fonds propres librement disponibles.38 Afin de tenir compte du verdict de la Haute Cour, il faut donc s’assurer que ces réserves soient ajoutées au capital lié et ne soient donc pas distribuées sous forme de dividendes.

L’idée selon laquelle les prêts intragroupe qui ne sont pas accordés aux conditions du marché recèlent un risque de double affectation des fonds propres libres et que de tels prêts débouchent sur un blocage de fait des fonds propres libres suscite des critiques. On peut en effet se demander si la constitution d’une telle réserve bloquée est effectivement licite et nécessaire d’un point de vue comptable.39

L’obligation de création d’une position passive, de la réserve séparée pour propres actions (art. 659a al. 2 CO), s’oppose ou s’opposait40 à la position active des «propres actions». Cette obligation de constituer une réserve doit empêcher l’existence d’une fortune librement disponible à hauteur des propres actions.41 La réserve reflète ainsi le fait que les propres actions représentent une non-valeur.42

A l’inverse, les distributions dissimulées de bénéfice, par exemple au moyen de prêts intragroupe qui échouent au test du tiers, se traduisent par des prétentions en restitution de la société.43 En exigeant dans son arrêt Swisscargo la constitution d’une réserve pour les prêts cross- et up-stream, à l’instar de la réserve pour propres actions, le Tribunal fédéral exprime l’idée que les prêts intragroupe tout comme les prétentions en restitution constituent également une non-valeur. L’absence d’espace pour la constitution de la réserve exigée par le Tribunal fédéral est donc critiquée à juste titre.44

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3.2.5 Opinion incidente concernant la participation à un cash pool
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Dans une opinion incidente et sans autre justification, le Tribunal fédéral a par ailleurs qualifié la participation à un cash pool de «discutable à la base déjà» pour ce qui concerne le test du tiers.45 Le fait que le Tribunal fédéral n’ait pas tranché cette question est préjudiciable à la sécurité du droit, d’autant que les cash pools sont aussi très répandus dans les groupes suisses.

Même si le Tribunal fédéral n’a pas remis en cause la licéité fondamentale des cash pools dans ce considérant, il en restreint néanmoins fortement l’utilisation à l’intérieur d’un groupe. Dans la mesure où les paiements immanents à un cash pool seraient qualifiés de non conformes aux conditions du marché, il s’ensuivrait qu’une réserve spéciale devrait être créée pour chaque transfert de capital intragroupe, dans le sens du considérant du Tribunal fédéral précédemment exposé.

Si l’on ajoute à cela la réserve généralisée lors de la prise en compte des avantages du groupe46, ce considérant du Tribunal fédéral se traduit donc par une insécurité juridique encore plus importante en relation avec les processus de financement intragroupe.

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4. Qualification juridique de l’agio
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4.1 Considérants du Tribunal fédéral
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Le tribunal de commerce de Zurich en qualité d’autorité inférieure n’avait pas tenu compte de l’agio pour la détermination du capital non bloqué et donc disponible pour la distribution de dividendes et s’était uniquement basé sur le bénéfice de l’exercice.47

En renvoyant explicitement au libellé de l’art. 671 CO, le Tribunal fédéral a en revanche suivi la doctrine majoritaire et confirmé que l’agio devait être affecté à la réserve légale générale (art. 671 al. 2 ch. 1 CO).48 Cette préscription serait qualificative, autrement dit l’affectation de l’agio à la réserve légale générale ne nécessiterait aucune participation de l’assemblée générale.49 Du fait de cette qualification, l’agio suivrait «dès l’instant de sa saisie dans les livres de compte» les règles de distribution applicables à la réserve légale générale et pourrait donc être utilisé librement, pour autant que la réserve légale générale excède la moitié du capital-actions (art. 671 al. 3 COe contrario).50

Sur la base de ces considérants, le Tribunal fédéral a annulé le jugement du tribunal de commerce sur ce point et renvoyé l’affaire en vue d’une nouvelle appréciation.

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4.2 Observations
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Par sa décision, le Tribunal fédéral a créé une sécurité juridique concernant la question depuis longtemps litigieuse de la qualification et de la possibilité de distribution de l’agio, ce qu’il faut saluer.

Il a ainsi confirmé la pratique courante dans les entreprises, leurs services comptables et leurs organes de révision51, qui est aussi défendue par la doctrine majoritaire, comme nous l’avons évoqué précédemment.52

La décision du Tribunal fédéral selon laquelle l’agio peut être affecté sans autre formalité à la réserve légale générale signifie notamment qu’aucune opération de comptabilisation n’est requise pour la distribution, mais que l’agio peut être distribué ex lege comme dividende, pour autant que la moitié du capital-actions est dépassée.53

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5. Conclusions pour la pratique
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Le Tribunal fédéral a instauré une sécurité juridique au moins en ce qui concerne la qualification de l’agio et donc des moyens disponibles pour les dividendes, confirmant la pratique existante des entreprises, ainsi que de leurs services comptables et organes de révision.

A la différence des prêts intragroupe, où l’arrêt du Tribunal fédéral donnera à l’avenir matière à discussion concernant la question de savoir quand les prêts intragroupe sont délicats pour des raisons liées à la protection du capital selon le droit de la société anonyme. Une incertitude subsiste notamment à l’issue de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral à propos des critères à contrôler dans le test du tiers et de leur pondération. La question des conséquences d’un système de cash pool sur l’établissement du bilan et donc sur les possibilités de distribution de dividendes reste en outre posée. Ces incertitudes sont regrettables.54

En dépit des critiques exprimées à l’encontre de la décision Swisscargo, des entreprises agissant avec circonspection ainsi que leurs services comptables et organes de révision ne peuvent pas ignorer cet arrêt. Tant qu’il est pas établi que l’arrêt Swisscargo deviendra une jurisprudence permanente et consolidée, les groupes ne pourront pas faire autrement, dans un premier temps et jusqu’à ce que les questions de droit restées en suspens soient clarifiées, que d’exécuter un test du tiers rigoureux pour les prêts cross- et up-stream et de tenir compte tout particulièrement à cette occasion de la solvabilité du débiteur à l’intérieur du groupe ainsi que de la garantie (manquante).55 Il s’agit d’un contrôle rigoureux de la valeur des prêts intragroupe. Afin de tenir compte du critère du contrôle de solvabilité de la débitrice du prêt interne au groupe, il semble notamment utile d’accorder aux sociétés participant au cash pool des droits d’information et de résiliation (extraordinaires) correspondants.56 Les contrats-cadres sous-jacents au cash pool doivent être rédigés conformément à ces prescriptions.

Dans la mesure où il y a des doutes quant à l’octroi des prêts aux conditions du marché, notamment afin de ne pas risquer la nullité (partielle)57 des paiements au titre du prêt, l’entreprise n’aura pas d’autre choix que de constituer la réserve spéciale bloquée exigée par le Tribunal fédéral à hauteur de la valeur du prêt.Le montant des prêts intragroupe doit en outre être limité au montant des fonds propres librement disponibles. Les montants excédentaires doivent être restitués par les débitrices du groupe.

S’agissant de la possibilité de distribuer des dividendes, la décision Swisscargo a pour conséquence que les entreprises prudentes sont tenues de limiter le montant du dividende aux fonds propres libres, après déduction des prêts cross- et up-stream intragroupe non-conformes aux conditions du marché.

Il est à espérer que le Tribunal fédéral explicite à l’avenir son opinion, notamment les critères applicables au test du tiers et leur pondération, et tienne compte de la situation du groupe dans son appréciation. Dans la perspective de la réserve spéciale à constituer selon le Tribunal fédéral, il est souhaitable que le Tribunal fédéral prenne en considération les critiques formulées à l’encontre de l’arrêt Swisscargo et ne fixe pas de limites inutiles aux financements de groupe déterminants dans la pratique.

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  1. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014; NZZ du 13 décembre 2014, N° 290, p. 33.
  2. Une synthèse plus complète est disponible à l’adresse http://www.swissblawg.ch/2014/10/4a1382014-verhaltnis-der.html.
  3. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 3.
  4. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.
  5. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 5.
  6. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 6.
  7. Pour une synthèse des faits, cf. Blum, Die Wirkung von Konzerndarlehen auf die Ausschüttungsfähigkeit, GesKR 4/2014, 463 ss, 464 s.; Glanzmann / Wolf, Cash Pooling – Was ist noch zulässig?, GesKR 2/2014, 264 ss, 264 s. L’organe de révision actionné avait formé un recours contre le jugement du tribunal du commerce de Zurich du 20 janvier 2014 (HG130015-O). Un premier jugement dans la même affaire du 9 mars 2012 (HG080315-O) avait été annulé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 4A_248/2012 du 7 janvier 2013; cf. pour une synthèse de ces deux jugements antérieurs Blum (note 7), 465 s.; Maurer / Handle, Pflichten und Verantwortlichkeit der Revisionsstelle im Zusammenhang mit konzerninternen Darlehen, GesKR 2/2013, 287 ss, 288 s.
  8. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. A.c.
  9. Ci-après les prêts up- et cross-stream seront également qualifiés ensemble de «prêts intragroupe».
  10. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. A.c.
  11. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.1 avec renvoi à l’ATF 132 III 668, consid. 3.2.
  12. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.1; cf. en outre l’aperçu dans Meier-Hayoz / Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht,10e éd., Berne 2007, § 16 Cm 68 ss; Böckli, Schweizer Aktienrecht, 4e éd., Zurich / Bâle / Genève 2009, § 1 Cm 168 ss.
  13. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.1 avec renvoi à l’arrêt du TF 4A_496/2010 du 14 février 2011, consid. 2.1 (= Pra 2011, 828 ss).
  14. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2 avec de nombreux commentaires.
  15. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2 in fine avec renvoi à Maurer / Handle (note 7), 295. Egalement Neuhaus / Watter, Handels- und steuerrechtliche Aspekte von Up-, Down- und Sidestream-Garantien, in: Kramer / Nobel / Waldburger (éd.), Festschrift für Peter Böckli zum 70. Geburtstag, Zurich 2006, 173 ss, 195, fexigent la constitution d’une telle réserve.
  16. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2; cf. également Lenz / von Planta, Basler Kommentar: Obligationenrecht II, 4e éd., Bâle 2012, OR 659a N 4; Trüeb, Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, Personengesellschaften und Aktiengesellschaft, 2e éd., Zurich / Bâle / Genève 2012, OR 659a N 12.
  17. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.5.
  18. Ainsi p.ex. l’obligation d’établir des comptes consolidés (art. 963 ss CO).
  19. Ainsi également Meier-Hayoz / Forstmoser (note 12), § 24 Cm 4; Friz, Darlehen an Konzerngesellschaften, GesKR 4/2006, 325 ss, 325.
  20. Meier-Hayoz / Forstmoser (note 12), § 24 Cm 35 remarquent à juste titre que le principe légal de la société juridiquement, économiquement et organisationnellement autonome satisfait de moins en moins à la réalité.
  21. De façon générale, Glanzmann / Wolf (Fn 7), 265 avec un renvoi au jugement du tribunal de commerce de Zurich du 20 janvier 2014 (HG130015-O), ch. IV/1. [Sp. 11]; Glanzmann, Konzern-Kreditfinanzierungen aus Sicht der kreditgebenden Bank, SZW 3/2011, 229 ss, 229 s.; Friz (note 19), 325 s.
  22. Cf. Brand, Swissair Cash Pool – Übersicht zum Urteil des Bundesgerichts 4A_138/2014 du 16 octobre 2014 (décision Swisscargo) avec des observations concernant le droit de l’organisation des groupes, AJP 1/2015, 135 ss, 143 s. avec de nombreux renvois
  23. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2; cf. à propos de la critique à l’égard des motifs exposés par le Tribunal fédéral, la doctrine majoritaire a conforté leur avis, Blum (note 7), 469.
  24. Maurer / Handle (note 7), 297; Kurer / Kurer, Basler Kommentar: Obligationenrecht II, 4e éd., Bâle 2012, OR 680 N 17; Friz (note 19), 329; von der Crone, Aktienrecht, Berne 2014, § 9 Cm 45 s.; Böckli (note 12), § 11 Cm 449j.
  25. Kurer / Kurer (note 24), OR 680 N 22; Blum (note 7), 467 avec de nombreux renvois; Glanzmann / Wolf (note 7), 266 s.; Friz (note 19), 328; également Weber, Berner Kommentar, Obligationenrecht, Das Darlehen: Art. 312 – 318 OR avec une annexe relative aux contrats bancaires, Berne 2013, OR 312 N 82.
  26. Glanzmann / Wolf (note 7), 266 s. et avec un renvoi à l’arrêt du TF 5C.230/2005 du 2 mars 2006, consid. 3; cf. également Blum (note 7), 468; Schweizer Handbuch für Wirtschaftsprüfung (HWP), tome 1: Buchführung und Rechnungslegung, 2014, ch. IV.2.8.5.2.
  27. Glanzmann / Wolf (note 7), 268.
  28. Glanzmann / Wolf (note 7), 268 s. avec de nombreux renvois; cf. également à ce sujet Blum (note 7), 468 avec de nombreux renvois, et les observations dans Glanzmann (note 21), 231; Maurer / Handle (note 7), 293. Ces derniers sont toutefois sceptiques à l’égard de la prise en compte de prestations en retour indirectes pouvant être inscrites à l’actif.
  29. Cf. le texte relatif à la note 21, et Glanzmann / Wolf (note 7), 269.
  30. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.5. L’arrêt du Tribunal fédéral ne permet cependant pas de déterminer si et quelles affirmations l’organe de révision actionné aurait avancés à propos des avantages résultant de l’appartenance au groupe.
  31. Cf. p.ex. ATF 130 III 213, consid. 2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4C.214/2001 du 29 octobre 2001, consid. 4.
  32. Jugement du tribunal de commerce du 9 mars 2012 (HG080315-O), ch. VI/5.1.4.4.1 s. [p. 46 s.].
  33. Jugement du tribunal de commerce du 9 mars 2012 (HG080315-O), ch. VI/5.1.4.4.2 [p. 47]; arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 5.2. Les tribunaux ont estimé que le remboursement des prêts intragroupe entre la date de référence du bilan et la date de la distribution des dividendes n’était pas pertinent.
  34. Glanzmann / Wolf (note 7), 268; Blum (note 7), 469 s.
  35. Selon Brand (note 22), 145, les considérants du Tribunal fédéral suggèrent même que la valeur ne constitue pas un critère suffisant pour partir du principe d’un octroi de moyens licite en droit de l’organisation.
  36. ATF 138 II 57, consid. 2.2; von der Crone (note 24), § 9 Cm 46 avec commentaires supp. à la note 2379; Glanzmann / Wolf (note 7), 267.
  37. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2. Maurer / Handle (note 7), 296, sur lesquels se fonde le Tribunal fédéral, estiment par ailleurs qu’une telle réserve devrait être constituée même pour des prêts intragroupe octroyés à des conditions conformes au marché.
  38. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.2.
  39. Cf. à ce sujet Glanzmann / Wolf (note 7), 271 s.; Blum (note 7), 470 ss.
  40. L’art. 659a al. 2 CO, qui prévoit la constitution de réserves pour les propres actions a été remplacé au fond, dans le sillage de la révision du droit comptable, par l’art. 959a al. 2 ch. 3 let. e CO, selon lequel les propres actions ne doivent plus être comptabilisées qu’en diminution des capitaux propres; cf. Glanzmann, Das neue Rechnungslegungsrecht, SJZ 108 (2012), 205 ss, 210; Brand (note 22), 141; von der Crone (note 24), § 9 Cm 14.
  41. Kurer / Kurer (note 24), OR 659a N 4.
  42. Forstmoser / Meier-Hayoz / Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, Berne 1996, § 50 Cm 159.
  43. Glanzmann / Wolf (note 7), 271; Glanzmann (note 21), 243 s.
  44. Blum (note 7), 471 s., notamment 472, qui va encore un peu plus loin et estime qu’une distribution des prêts à l’origine du blocage doublée d’une réduction de cette réserve spéciale exigée par le Tribunal fédéral doit être possible, cf. Blum (note 7), 472 s., notamment avec un renvoi au jugement initial du tribunal de commerce du 9 mars 2012 (HG080315-O), qui a cependant été annulé par la suite par le Tribunal fédéral dans son arrêt 4A_248/2012 du 7 janvier 2013.
  45. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 4.5.
  46. Cf. le texte correspondant et les commentaires de la note 31.
  47. Jugement du tribunal du commerce de Zurich du 20 janvier 2014 (HG130015-O), ch. VI/5.1.3. [p. 31] avec renvoi à Böckli (note 12), § 12 Cm 520 et Cm 526. Kurer / Kurer (note 24), OR 680 N 19 qualifient également l’agio de partie du capital libéré dans le sens de l’art. 680 al. 2 CO, mais uniquement tant que celui-ci n’est pas comptabilisé dans les réserves légales en application de l’art. 671 al. 2 ch. 1 CO.
  48. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 6.2.2.
  49. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 6.2.1.
  50. Arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 6.2.1 – 6.2.2.
  51. Depuis le principe de l’apport de capital introduit par la éforme de l’imposition des entreprises II, cf. Boemle / Meyer, Das Kapitaleinlageprinzip im Lichte der Rechnungslegung, ST 2011, 1018 ss, 1021 s.; Glanzmann / Wolf (Fn 7), 270 s.
  52. Cf. les commentaires dans l’arrêt du TF 4A_138/2014 du 16 octobre 2014, consid. 6.2.2, et Oser / Vogt, Die Ausschüttung von Agio nach geltendem und künftigem Aktienrecht, GesKR 1/2012, 10 ss, 12 ss.
  53. Brand (note 22), 141.
  54. Glanzmann / Wolf (note 7), 273, redoutent ainsi à raison que le jugement du tribunal du commerce de Zurich du 20 janvier 2014 (HG130015-O), désormais confirmé par le Tribunal fédéral, a le potentiel pour remettre en cause le système des financements intragroupe.
  55. Le fait qu’un intérêt approprié soit dû au titre du prêt ne sera toutefois pas déterminant à cet égard, cf. Glanzmann / Maurer (note 7), 267.
  56. Cf. également Brand (note 22), 139 et 144. Cf. également Jagmetti, Cash Pooling im Konzern, thèse, Zurich 2007, 156 ss, selon lequel ces droits d’information devraient au minimum se rapporter au chef de file du pool et aux sociétés participantes déterminantes pour le système.
  57. Kurer / Kurer (note 24), OR 680 N 25; Meier-Hayoz /Forstmoser / Nobel (note 42), § 50 Cm 108; Friz (note 19), 327.
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