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Sur le territoire suisse, les compétences d’un administrateur de faillite étranger sont limitées. L’article spécialisé ci-dessous aborde les bases légales et la jurisprudence actuelles et relève d’éventuels problèmes qui pourraient se poser dans la pratique.

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Les activités économiques sont aujourd’hui de moins en moins liées aux frontières des Etats. Il se trouve également dans l’environnement économique international des entreprises qui peuvent se retrouver confrontées à des difficultés économiques. Des procédures de redressement et de faillite sont alors souvent inévitables.1 De telles procédures engagées à l’étranger peuvent également avoir un lien avec la Suisse, plus particulièrement au cas où les activités de l’entreprise insolvable toucheraient également le territoire suisse. Alors que les obstacles internationaux aux échanges commerciaux ont de plus en plus été éliminés par le passé, des barrières nationales demeurent dans le secteur du droit de la faillite. Sur le territoire suisse, les compétences d’un administrateur de faillite étranger sont restreintes et perdent pratiquement toute validité à la frontière suisse. Dans certaines constellations, cette situation peut mener à des résultats choquants.

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1. Dispositions de la LDIP suisse
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Dans le domaine du droit international de la faillite, la Suisse a adopté les dispositions des art. 166 ss LDIP. Il résulte de l’art. 166 LDIP qu’une décision de faillite étrangère ne déploie aucun effet sur le territoire suisse aussi longtemps qu’elle n’a pas été reconnue. Jusqu’à sa reconnaissance en Suisse, la décision de faillite ­étran­gère demeure pratiquement sans effet. Ce n’est qu’avec la reconnaissance de la décision de faillite étrangère qu’interviennent également les conséquences du droit de la faillite en Suisse et qu’est lancée ce que l’on appelle une «mini»-procédure ou une procédure secondaire.

Or, un administrateur de faillite étranger qui est chargé de gérer et, finalement, de réaliser le patrimoine de la masse en faillite établit souvent des faits juridiques avant qu’intervienne la re­connaissance de la décision de faillite étran­gère en Suisse. Il conclut ainsi des contrats et s’efforce d’obtenir le règlement de créances échues en faveur du débiteur en faillite. Ces actes peuvent avoir un lien avec la Suisse, par exemple lorsqu’il vend les machines d’une entreprise insolvable à une entreprise qui a son siège en Suisse ou lorsqu’il achète à des prestataires de services suisses des prestations de services en lien avec l’administration de la faillite, etc. Toutefois, de tels actes de l’administrateur de faillite étranger peuvent mener à des résultats «étranges», ce qui s’explique finalement par la conception législative et par le système normé par les art. 166 ss LDIP.

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2. Prétentions d’un administrateur de faillite étranger envers des personnes domiciliées en Suisse
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Les explications ci-dessous mettent en exergue les faiblesses possibles du système régi par les art. 166 ss LDIP.

Comme nous l’avons déjà mentionné, une décision de faillite étrangère n’a aucun effet en Suisse aussi longtemps qu’elle n’y a pas été reconnue. Si l’administrateur de faillite étranger conclut, avant que cette reconnaissance intervienne, des contrats avec des personnes domiciliées en Suisse, on peut se demander si ces contrats sont effectivement valables.

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2.1 La capacité d’exercice des droits civils est une condition pour l’ouverture d’un droit de créance
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Des droits, et par conséquence des créances et des obligations peuvent naître de la conclusion de contrats. La capacité d’acquérir des droits et de s’obliger présume toutefois l’exercice des droits civils (cf. art. 12 CCS). Au niveau international, l’exercice des droits civils ­font référence à l’art. 35 LDIP qui prévoit que cet exercice est régi par le droit du domicile de la partie en cause. La capacité d’exercer les droits civils et la capacité juridique d’une société ainsi que les pouvoirs de représentation des organes selon le droit des sociétés font référence au droit applicable à la société (cf. art. 154 en relation avec l’art. 155 lit. a et i LDIP). L’exercice des droits civils d’un administrateur de faillite étranger ou le pouvoir de représentation, par exemple en relation avec une société insolvable étrangère, se déterminent donc en principe selon le droit applicable au domicile de l’administrateur de faillite, respectivement au droit applicable au siège de la société, c’est-à-dire selon un droit étranger.

Si l’administrateur de faillite étranger dispose de l’exercice des droits civils ou d’un pouvoir de représentation selon le droit étranger, il peut conclure des contrats et faire valoir des droits (en particulier des droits de créance). Cela ne dépend donc pas de la reconnaissance préalable d’une décision de faillite étrangère.

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2.2 Les créances en tant que droits pouvant être allégués en justice et délimitation par rapport à l’obligation naturelle
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Une créance est un droit à une prestation pouvant être invoquée en justice.2 Le créancier dispose d’un droit d’action dirigé contre l’Etat en tant que détenteur de la compétence juridictionnelle. Ce droit relève donc du droit public. Outre le droit privé envers le débiteur – ce droit d’action représente la partie constituante de la créance.3

Il convient de différencier la créance de l’obligation naturelle: l’obligation naturelle est une «créance ne pouvant être invoquée en justice». Ainsi, les créances découlant de jeux et de paris sont de telles obligations naturelles. Dans de tels cas, le créancier a certes un droit à obtenir la prestation exigée mais l’Etat refuse d’accorder à ce dernier sa protection légale pour des raisons dictées par des considérations d’éco­nomie nationale ou de politique sociale.4

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2.3 Un administrateur de faillite étranger peut-il agir en justice en Suisse?
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Lorsqu’un administrateur de faillite étranger conclut un contrat avec une partie domiciliée en Suisse afin de faire valoir une créance juridiquement valable (par exemple le droit d’exiger de l’acheteur de valeurs patrimoniales de la société insolvable le paiement du prix de vente), cela présume que l’administrateur de faillite étranger doit également être en mesure de ­faire valoir cette créance devant les tribunaux. L’administrateur de faillite étranger doit disposer de la compétence de poursuivre le recouvrement de la créance en question car, dans le cas contraire, cette créance ne serait «qu’une» obligation naturelle.

Dans son arrêt ATF 129 III 263, le Tribunal fédéral a décidé qu’une masse en faillite étrangère n’est activement légitimée à demander que la reconnaissance de la décision de faillite étrangère. Une masse en faillite étrangère ne peut engager de poursuites. Dans Pra 2008 n° 144, le Tribunal fédéral a constaté qu’une masse en faillite étrangère ne pouvait saisir la justice en Suisse. La seule compétence de l’administrateur de faillite étranger est d’introduire une demande de reconnaissance de la décision de faillite étrangère.

Si l’on se base sur cette jurisprudence, cela signifie tout d’abord que l’administrateur de faillite étranger ne dispose d’aucun droit d’action dirigé contre l’Etat en tant que détenteur de la compétence juridictionnelle. Il en découle que l’administrateur de faillite étranger peut bien conclure des contrats avec des parties domiciliées en Suisse mais que ces contrats ne représentent pour lui «au mieux» qu’une obligation naturelle. En d’autres termes, c’est à la partie adverse qu’il revient de décider si elle veut ou non donner suite à l’obligation naturelle qui la lie à l’administrateur de faillite étranger. En Suisse, l’administrateur de faillite étranger n’a aucun moyen de faire valoir son droit.

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2.4 La procédure d’entraide judiciaire selon les art. 166 ss LDIP
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Avec les art. 166 ss LDIP, le concept législatif met à la disposition de l’administrateur de ­fail­lite étranger une procédure d’entraide judiciaire à laquelle l’administrateur de faillite peut avoir ­recours s’il s’agit de faire valoir des créan­ces envers des débiteurs domiciliés en Suisse. Si toutefois la créance en question se fonde sur un contrat conclu par l’administrateur de faillite étranger, cette procédure ne lui sera pas d’un grand secours: la conséquence de l’entraide judiciaire prévue par l’art. 166 LDIP est qu’une «mini»-faillite a lieu en Suisse. Toutefois, seules des créances du failli peuvent tomber dans ­cette masse de la «mini»-faillite. Les créances qui n’appartiennent pas au failli mais à l’administrateur de faillite étranger ne font pas partie de la masse étant donné qu’il ne s’agit pas d’un avoir du failli.

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3. Analyse des problèmes
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La cause du problème décrit semble résider dans l’éclatement de l’aptitude à exercer ses droits et de l’aptitude à agir en justice, respectivement de la légitimation active:

Un administrateur de faillite étranger peut, sur le territoire de «son» Etat – et même au-delà, sur la base d’éventuelles directives ou accords supranationaux –, exercer les attributions que lui accord la loi. Si, selon le droit correspondant, ces attributions comprennent également celle de conclure des contrats, l’administrateur peut également conclure des contrats en relation avec l’administration de la masse en faillite ou avec la réalisation de biens. Il faut rappeler ici que selon la LDIP, aussi bien la capacité d’agir que les questions relatives au droit des sociétés (capacité juridique et d’exercice des droits civils, pouvoir de représentation) font référence au droit du siège/domicile étranger. L’administrateur de faillite peut également conclure des contrats qui règlent le recouvrement de créances du failli auprès de ses débiteurs ou le règlement de droits d’action. A première vue, les seules conditions de validité de tels contrats sont la capacité d’exercice des droits civils des parties, le consentement et l’admissibilité juridique (ce qui signifie que le contrat ne doit pas avoir de contenu illicite ou contraire aux mœurs) et éventuellement le respect de certaines prescriptions formelles.

L’autre partie au contrat peut également exécuter sans autres les obligations découlant de tels contrats.

Par contre, un administrateur de faillite étranger ne peut faire valoir sur le territoire suisse des créances découlant de tels contrats étant donné qu’il ne dispose pas de la légitimation active qui lui serait nécessaire. Le problème se situe par conséquent dans l’absence de légitimation active, qualité qui lui est retirée sur le territoire suisse compte tenu des prescriptions de l’art. 166 LDIP.

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3.1 Les dispositions des art. 166 ss LDIP et leur historique
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Dans le domaine du droit international de la faillite, on distingue deux principes:

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3.1.1 Principe d’universalité
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En abrégé, la notion d’universalité décrit la ­situation selon laquelle il ne devrait y avoir au niveau international, en cas de faillite et pour un seul et même débiteur, qu’une seule masse en faillite, un seul administrateur de faillite et un seul droit applicable. La procédure devrait être lancée au domicile/siège du failli, soumise en principe au droit applicable à cet endroit et avoir lieu sous la direction de l’administrateur de faillite institué à cet endroit.5 Le système ­juridique applicable au lieu de la faillite serait dès lors déterminant pour toutes les questions juridiques matérielles et formelles.

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3.1.2 Principe de territorialité
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Conformément au concept de pluralité et de territorialité de la faillite, les effets juridiques d’une procédure de faillite devraient au ­contraire rester strictement limités au territoire de l’Etat dans lequel la faillite en question a effectivement lieu.6 Par conséquent, les droits nationaux relatifs à la faillite et les éventuels privilèges ­accordés aux créanciers retrouvent une importance tout à fait cen­trale.

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3.1.3 But des art. 166 ss LDIP
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Les droits de faillite nationaux se distinguent par plusieurs différences, entre autres en ce qui concerne les privilèges et les garanties de paiement: l’art. 219 de la LP suisse prévoit ainsi un classement des créanciers en rangs et privilégie par exemple les créances des salariés, des institutions de prévoyance professionnelle et de certaines institutions d’assurance ou encore les créances gagées. Ces créances sont couvertes en priorité par la réalisation des biens de la ­masse en faillite.

Lorsqu’une procédure de ­fail­lite ne suit pas la LP mais à un droit étranger, ce classement du droit suisse ne s’applique plus mais bien celui du droit étranger – si tant est qu’il en existe un.

Si le droit inter­national de la faillite suisse suivait le principe d’universalité, le système des privilèges prévu par le législateur suisse ne serait plus applicable. Les créanciers d’une entreprise insolvable étrangère, domiciliés en Suisse, pourraient ­faire valoir leurs créances conformément au droit de la faillite national en question mais ils ne bénéficieraient pas d’éventuels privilèges. Cela peut entraîner un traitement inégalitaire aux dépens des créanciers suisses.

Avec le système prévoyant la possibilité de reconnaître en Suisse une décision de faillite étrangère et le lancement d’une procédure secondaire, les règles de la LDIP tendent à se rapprocher d’une solution apparentée au principe de la territorialité avec une certaine entorse à ce dernier:

  • Une décision de faillite prononcée à l’étranger n’a en principe aucun effet en Suisse. Le principe d’universalité ne s’applique donc pas.
  • Cependant, cette décision de faillite peut tout de même être reconnue en Suisse. Dans le cadre de la procédure secondaire, certains créanciers bénéficieront de certains privilèges selon le droit suisse (cf. art. 172 LDIP).
  • Après le remboursement aux créanciers selon l’art. 172 al. 1 LP, un excédent pourra – si certaines conditions sont remplies – être ­versé à l’administration de faillite étrangère conformément à l’art. 173 LP pour autant que les créances des créanciers domiciliés en Suisse aient été équitablement prises en compte dans le cadre de la procédure de faillite à l’étranger.

Le sens et le but recherché par les dispositions des art. 166 ss LDIP sont donc la protection des créanciers nationaux. Ces derniers sont privilégiés par rapport aux créanciers étrangers en ce qui concerne les valeurs patrimoniales situées en Suisse, ce qui contredit l’idée de base de l’égalité de traitement des créanciers domiciliés en Suisse et des créanciers domiciliés à l’étranger.7

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3.1.4 «Fonction» de la légitimation active dans le système suisse
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Le mécanisme de protection décrit ci-dessus ne peut fonctionner que si l’administrateur de faillite étranger ne peut pas transférer des valeurs patrimoniales du débiteur failli qui se trouvent en Suisse vers la masse en faillite à l’étranger pour les réaliser conformément au droit de la faillite local et pour répartir le produit de ­cette réalisation entre les créanciers selon le classement de ces derniers correspondant au droit étranger.

Si l’on refuse à l’administrateur de faillite étranger le droit de saisir la justice pour faire valoir une créance ou de lancer une poursuite en Suisse, on considère ce dernier comme pratiquement inexistant. C’est ainsi que fonctionne le mécanisme de protection décrit: l’administrateur de faillite étranger ne peut s’efforcer en Suisse de faire transférer à l’étranger des valeurs patrimoniales, respectivement de faire valoir en Suisse des créances envers des débiteurs du débiteur failli.

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3.2 Jurisprudence du Tribunal fédéral et doctrine
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C’est aussi à la lumière du but des art. 166 ss LDIP décrit ci-dessus que le Tribunal fédéral s’est exprimé à plusieurs reprises en faveur d’un refus d’octroyer à un administrateur de faillite étranger la légitimation active ainsi que la légitimation nécessaire à lancer une poursuite.

Dans l’ATF 129 III 683, le Tribunal fédéral avait expliqué, entre autres, qu’une masse en faillite étrangère ne disposait de la légitimation active que pour demander la reconnaissance de la décision de faillite étrangère et l’ordonnancement de mesures conservatoires (art. 166 et 168 LP). Selon lui, la masse en faillite étran­gère ne pouvait procéder à d’autres actes ­juridiques.

Dans l’ATF 130 III 620, le Tribunal fédéral a constaté qu’un administrateur de faillite étranger doit demander l’entraide judiciaire prévue dans le cadre des art. 166 ss LDIP lorsqu’il s’agit d’adjoindre des valeurs patrimoniales à la ­masse en faillite, raison pour laquelle il n’y a plus de marge pour l’adjonction directe de valeurs patrimoniales situées en Suisse à la masse en faillite (par exemple en intentant une action).

Finalement, le Tribunal fédéral s’est longuement penché sur la légitimation active d’une masse en faillite étrangère dans Pra 2008 n° 144. Le Tribunal fédéral devait alors décider si une société en faillite (étrangère) était légi­timée à introduire en Suisse une action de droit purement matériel contre le prétendu débiteur de la société en faillite sans faire reconnaître préalablement en Suisse la décision de faillite étrangère. Il s’agissait concrètement d’une action ouverte à la suite d’une procédure de ­faillite italienne afin d’ajouter de plus amples actifs aux valeurs patrimoniales réalisables de la société en faillite. Le Tribunal fédéral a expliqué que la reconnaissance de la compétence de l’administrateur de la faillite pour intenter des actions dépendait de la reconnaissance préalable de la décision de faillite en Suisse au sens de l’art. 166 LDIP, la validité de cette reconnaissance exigeant l’intervention de l’administrateur de fail­lite étranger et les compétences transmises à ce dernier. Une telle demande doit non seulement avoir été déposée si l’administrateur de la ­faillite étrangère prévoit de faire valoir des créances de la société faillie envers un débiteur domicilié en Suisse dans le cadre d’une poursuite mais également s’il intente une action afin de faire reconnaître la justification de droit matériel d’une créance contestée. Si l’on octroyait les mêmes compétences à un administrateur de faillite étranger qu’à un administrateur de ­faillite suisse, en particulier la compétence d’intenter directement une action contre le prétendu débiteur suisse, la reconnaissance (éventuelle) de l’action en reconnaissance de créance aurait pour conséquence que des actifs seraient soustraits aux créanciers admis au plan de collocation de la mini-faillite selon l’art. 172 LDIP, ce qui est clairement en contradiction avec le sens et le but du système institué par les art. 166 ss LDIP.

On trouve également dans la doctrine certaines voix qui refusent de reconnaître la légitimation active à une masse en faillite étrangère et qui n’accordent à cette dernière que la compé­tence de demander la reconnaissance de la décision de faillite étrangère.8

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4. Résultats problématiques et restrictions nécessaires
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Si l’on refuse d’accorder à un administrateur de faillite étranger la compétence d’intenter de lui-même une action ou de lancer une poursuite en Suisse, afin d’empêcher que des créanciers privilégiés domiciliés en Suisse ne soit désavantagés, il semble que cela dépasse nettement l’objectif recherché et débouche sur des résultats choquants.

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4.1 For juridique en Suisse
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Si l’on refuse totalement de reconnaître à l’administrateur de faillite étranger la compétence d’intenter une action ou de lancer une poursuite en Suisse, cela débouche sur un résultat choquant tout particulièrement si l’affaire en question n’a guère de liens avec la Suisse.

Exemple: une société allemande domiciliée en Allemagne conclut un contrat avec une société italienne. Ce contrat est soumis au droit matériel suisse. Le contrat fixe le for juridique auprès d’un tribunal suisse. Si la société allemande tombe en faillite et si la société italienne (créancière de la société en faillite) ne respecte pas le contrat, on peut se demander si l’administrateur de faillite allemand pourra poursuivre en justice la société italienne.

Si la convention relative au for juridique est valable et si le tribunal convenu doit reconnaître sa compétence,9 on peut se demander s’il sera véritablement possible de poursuivre la société italienne: si une action était intentée en Allemagne ou en Italie, la société italienne pourrait se prévaloir de la convention relative au for juridique. Mais en raison de l’absence de légitimation active, il ne serait pas possible d’intenter une action en Suisse. Une reconnaissance de la décision de faillite étrangère en Suisse ne serait pas possible puisqu’aucune valeur patrimoniale du débiteur failli ne serait concernée. Selon l’art. 167 al. 3 LDIP, les créances du débiteur failli sont considérées comme grevées au domicile du débiteur. Dans l’exemple ci-dessus, ce serait en Italie. Il se pourrait également qu’aucun tribunal suisse ne soit compétent pour la reconnaissance (cf. art. 167 al. 1 LDIP).10

Muss FN 10 sein; Übersetzung dafür fehlt nochSi un tribunal arbitral en Suisse avait été convenu en lieu et place d’un tribunal d’Etat et si un autre droit matériel applicable au contrat avait été choisi, la situation serait peut-être diffé­rente. Il faut relever que l’art. 177 al. 2 LDIP précise par exemple qu’une organisation étatique ou une entreprise sous contrôle étatique n’est autorisée ni à se référer à son propre droit dans le cadre d’une procédure arbitrale, ni à remettre en question la capacité d’ester en justice. Cette disposition semble davantage indiquer qu’il n’est justement pas possible de faire valoir un manque de légitimation active d’un administrateur de faillite institué par l’Etat. Dans la me­sure ou le 12e chapitre de la LDIP n’est pas applicable et qu’un droit étranger est applicable en la matière, la capacité d’un administrateur de fail­lite étranger d’être partie ne devrait guère faire l’objet d’un procès. En d’autres termes, l’administrateur de faillite en Suisse pourrait intenter une action devant un tribunal arbitral.

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4.2 Domicile, siège social, moment où l’action a été intentée et règlement transactionnel
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L’exemple suivant illustre une autre constellation problématique:

Une société allemande tombe en faillite. Il ­apparaît qu’il existe des droits d’intenter une action en nullité relative contre une personne domiciliée en Allemagne. L’administrateur de faillite allemand intente une telle action en ­Alle­magne (il n’y a pas d’autre for juridique) contre la personne en question et gagne le procès. Après que l’arrêt est devenu exécutoire, la défenderesse transfère son domicile en Suisse et refuse d’effectuer le versement auquel elle est valablement tenue.

L’administrateur de fail­lite étranger devrait donc intenter une action contre la défenderesse en Suisse. La question de savoir comment il devrait procéder demeure toutefois ouverte. En effet, il ne peut ni lancer une poursuite, ni intenter une action contre la défenderesse en Suisse. L’administrateur de faillite étranger pourrait tout de même essayer de faire reconnaître en Suisse la décision de faillite étrangère, ce qui déboucherait sur l’ou­verture d’une procédure secondaire. Mais ­comme la défenderesse réside en Suisse, l’on pourrait argumenter que la créance est sise en Suisse (cf. art. 167 al. 3 LDIP). Dans ce cas, il ne serait toujours pas certain que la créance en question tombe dans la «mini»-masse en fail­lite, puisqu’un tribunal a déjà cons­taté par un arrêt ayant force de chose jugée que la créance est due à l’administrateur de faillite étranger et non pas à la «mini»-masse en faillite suisse.

Une constellation similaire pourrait également intervenir si la défenderesse conclut un règlement transactionnel avec l’administrateur de faillite avant le règlement ayant force de chose jugée de l’affaire et avant de transférer son ­domi­cile en Suisse afin de refuser de fournir la prestation due.

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4.3 Contrats conclus entre un administrateur de faillite étranger et des personnes domiciliées en Suisse
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Le sens et l’utilité d’une procédure de faillite est finalement de réaliser le patrimoine du débiteur failli afin de rembourser les créanciers. Si la faillite est prononcée à l’encontre d’une entreprise industrielle internationale de grande taille et si ses actifs sont également vendus à des entreprises dont le siège est en Suisse, l’administrateur de faillite étranger ne pourrait même pas poursuivre l’entreprise en Suisse si l’entreprise suisse refuse de fournir la contre-prestation due. L’administrateur de faillite étranger se verrait à nouveau confronté au fait qu’il ne peut ni engager une poursuite, ni intenter une action en Suisse. On pourrait éventuellement considérer la reconnaissance de la décision de faillite étrangère mais dans ce cas, il faudrait se demander – de manière tout à fait justifiée – si la créance de l’administrateur de faillite étranger entre dans la «mini»-masse en faillite suisse. En fin de compte, cette procédure concerne des biens du débiteur failli qui étaient situés à l’étranger et n’ont été transférés en Suisse que dans le cours de la procédure de réalisation. Si la créance n’entre pas dans la «mini»-masse en faillite, l’entreprise suisse pourrait même ne pas du tout être inquiétée. Difficile en outre de discerner le sens d’une «mini»-procédure de ­faillite si le seul lien avec la Suisse consiste dans le fait que l’acheteur est domicilié en Suisse.

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5. Appréciation
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Pour autant que la jurisprudence du Tribunal fédéral doive effectivement être interprétée dans le sens qu’un administrateur de faillite étranger ne dispose d’aucune marge de manœuvre sur le territoire de la Suisse, cela répondrait effectivement à la volonté de protéger les créanciers nationaux tout en faisant néanmoins apparaître des «effets secondaires» indésirables et injustifiables:

Les débiteurs du débiteur failli peuvent se soustraire à leurs obligations en déplaçant leur domicile ou leur siège en Suisse. Un «astucieux» débiteur étranger du débiteur failli étranger peut attribuer un litige à la compétence d’un tribunal suisse au moyen d’une convention d’attribution de juridiction et transformer ainsi une dette en une obligation naturelle. Les entreprises suisses peuvent acquérir, auprès de sociétés étran­gères insolvables, des produits, des machines, etc. à des prix le plus souvent très avantageux dans le cadre d’une réalisation forcée et, par-dessus le marché, se soustraire à leur obligation de paiement.

Par conséquent, une appréciation plus différenciée de la légitimation active de l’administrateur de faillite étranger s’impose. La légitimation active de l’administrateur de faillite étranger devrait être évaluée individuellement. Lorsqu’un cas concret présente des constellations similaires à celles illustrées ci-dessous ou s’il n’existe pas d’indications concrètes de l’existence d’un traitement inégalitaire des créanciers du débiteur failli domiciliés en Suisse, il convient d’approuver la légitimation active.

A long terme, il serait cependant souhaitable que les dispositions des art. 166 ss LDIP soient soumises à une révision. Le modèle actuel qui privilégie des personnes ou des institutions domiciliées en ­Suisse semble dépassé compte tenu d’autres évolutions (par exemple la libre circulation des personnes).

En outre, le modèle actuel semble peu efficace compte tenu du but de protection visé: on peut effectivement refuser d’octroyer la légitimation active à l’administrateur de faillite étranger mais on ne peut guère lui refuser la capacité de céder la créance en question envers le débiteur du failli – contre paiement (vente d’une créance dans le cadre de la procédure de réalisation) ou en vue d’un recouvrement – à une société ­privée. On ne pourra guère nier la légitimation active de cette dernière.

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  1. Cf. Lukas Bopp, Sanierung im Internationalen Insolvenzrecht der Schweiz, 2004.
  2. Cf. Gauch/Schluep/Schmid/Rey, OR Allgemeiner Teil, tomes I et II, p. 13, N 29.
  3. Cf. Gauch/Schluep/Schmid/Rey, OR Allgemeiner Teil, tomes I et II, p. 15, N 48 ’
  4. Cf. Gauch/Schluep/Schmid/Rey, OR Allgemeiner Teil, tomes I et II, p. 19, N 81 ss.
  5. Cf. Volken, Zürcher Kommentar zum IPRG, 2e édition, p. 1854.
  6. Cf. Volken, Zürcher Kommentar zum IPRG, 2e édition, p. 1854.
  7. Cf. Mayriam A. Gehri/Gregor H. Kostkiewicz, Anerkennung ausländischer Insolvenzentscheide in der Schweiz – ein neuer Réduit National? Dans: SZIER 2009, p. 204.
  8. Cf. par exemple Franco Lorandi, Handlungsspielraum ausländischer Insolvenzmassen in der Schweiz, AJP 2008, p. 560 ss, Karl Wüthrich, Kann eine ausländische Konkursmasse in der Schweiz eine Klage gegen einen ihrer Schuldner mit Sitz oder Wohnsitz in der Schweiz einleiten?, Jusletter 25 octobre 2004.
  9. Cf. art. 5 al. 3 lit. b LDIP, art. 17 LugÜ ne comporte pas du tout l’exigence d’une relation interne, c’est-à-dire que le tribunal ne peut guère nier la compétence; cf. Spuehler/Vock, Gerichtsstandsgesetz (GestG), p. 38.
  10. 10 Cf. pour le tout Paul Oberhammer, commentaires sur l'ATF 5A_222/2008 du 23 septembre 2008 (Urteilsbesprechung zu BGer. 5A_222/2008 vom 23. September 2008), ZZZ 2009/10, p. 258 ss (sous presse).
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