Lors du bouclement des comptes annuels, nous sommes tous conscients que la façon d’évaluer les inventaires et autres engagements aura, souvent, une influence déterminante sur le bénéfice qui sera présenté aux autorités fiscales. Attention toutefois à ne pas être trop prudent …
Dans cette affaire, notre Haute Cour devait se prononcer sur le sort fiscal des réserves latentes constituées par une société anonyme en raison d’un retard, flagrant, dans la facturation.
Alors que les faits, voire également l’arrêt du 31 juillet 2012 de la Cour de Justice de l’Etat de Genève2, nous apprennent que l’Administration fiscale genevoise avait ouvert des procédures de rappel d’impôt et de soustraction, cette dernière a ensuite procédé à une reprise, à raison de 50 %3, du total des factures et travaux en cours incriminés. Ce qui précède ne se discutait pas et n’était pas l’objet du recours. Néanmoins, on y apprend que la contribuable a élevé réclamation contre les amendes prononcées au titre de soustraction fiscale.
L’aspect procédural joue un rôle important et mérite d’être examiné.
Il convient de rappeler que la période fiscale concernée avait, précédemment, fait l’objet d’une taxation définitive si bien que sa réouverture nécessitait que les conditions du rappel d’impôt soient données.4 Celles-ci supposent que des faits ou preuves jusque là inconnus du fisc permettent d’établir que la taxation entrée en force est insuffisante. Dans le présent cas, cette preuve semble avoir été acquise par l’autorité fiscale lors du contrôle de la période fiscale suivante ...5
Le fait que la contribuable ne mentionnait dans son bilan aucun montant au titre de travaux en cours lui a probablement coûté cher dans la mesure où elle ne pouvait invoquer l’exception au rappel en cas d’évaluation insuffisante.6 Par ailleurs, on peut se poser la question si la maxime inquisitoire a bien été respectée par le fisc, n’aurait-il pas omis lors de la taxation initiale de vérifier quelque chose d’anormal (ici absence de travaux en cours pour un bureau d’architectes), ce qui pourrait ensuite faire échec à tout rappel d’impôt.7
La soustraction ayant été consommée8, l’amende est infligée que la contribuable ait intentionnellement ou par négligence fait en sorte qu’une taxation soit incomplète. La jurisprudence a tendance à considérer le caractère intentionnel comme présumé et le dol éventuel correspond déjà à une certaine forme d’intention qui ne se laisse pas facilement renverser. Dans le cas discuté, l’intention était clairement donnée en raison de la volonté de ne pas comptabiliser les travaux en cours.
Si l’on peut comprendre que la sous-évaluation délibérée d’actifs est en contradiction avec les principes d’établissement régulier des comptes mais, qu’en l’état du droit comptable, le principe de prudence permet la constitution de réserves latentes, sur le plan fiscal une distinction doit être effectuée.
Ainsi, lorsqu’une sous-estimation de travaux en cours se fonde sur une comptabilisation prudente, sans toutefois conduire à la constitution de réserves latentes arbitraires, on ne saurait, en principe, y voir une quelconque intention de se soustraire à l’impôt pour une simple question d’appréciation dans l’évaluation. Qui plus est si l’on s’interroge sur les coûts à intégrer au prix de revient.
Il en va clairement différemment si les prestations ont déjà été délivrées, voire qu’elles ont déjà été facturées, et qu’elles n’ont – comme dans cette affaire – pas été comptabilisées ou de manière excessivement prudente pour ne pas dire sporadique. L’évaluation qui sera déterminante fiscalement relèvera alors plus du prix de vente.9
Des réserves latentes peuvent très bien être créées comptablement en surévaluant les engagements.
Traditionnellement, elles seront présentées au titre de provisions dans les comptes. S’agissant ici de couvrir un risque de perte inhérent à la période sous revue mais dont l’échéance et le montant ne peuvent être déterminés avec précision, les conséquences du présent arrêt peuvent-elles se répéter?
En principe: non, ce dans la mesure où ces provisions apparaissent clairement au bilan. Dans ce cas, elles sont susceptibles d’être analysées lors de chaque période fiscale par l’autorité de taxation. Aucun élément n’est dissimulé.
Une autre question concerne la prise en compte de la déductibilité de l’impôt sur le bénéfice imposable au regard du principe de la capacité contributive, car en cas de reprise fiscale, la provision constituée à cet égard est en principe insuffisante.
La jurisprudence permet, uniquement en procédure de taxation, de prendre en considération le complément d’impôt en constituant un bilan fiscal. Ceci est exclu si la reprise fiscale est la conséquence d’une soustraction intentionnelle, car dans ce cas la reprise était prévisible par le contrevenant.
Le projet du Conseil fédéral10 vise notamment à unifier les procédures à l’aide du droit pénal administratif.11 Dès lors et conformément au droit pénal général, en cas de soustraction d’impôt réalisée au profit d’une personne morale, la sanction serait infligée à la personne physique qui aurait commis l’acte.
Alors qu’aujourd’hui, notre droit fiscal admet la punissabilité d’une personne morale, mais exclut la déductibilité de l’amende sur le plan fiscal.
Compte tenu de l’artillerie prévue, une lueur d’espoir existe – peut-être – dans ce projet, dans la mesure où il n’y aurait plus de limite inférieure pour les amendes.
Il est pinçant de relever que l’inscription au bilan des prestations de services non facturées et autres stocks sera désormais clairement obligatoire.12
Quant aux provisions qui ne se justifient plus, elles ne devront toujours pas obligatoirement être dissoutes comptablement.13
Le droit comptable et le droit fiscal suivent des buts différents. Ainsi et par défaut, les comptes établis conformément au Code des obligations sont déterminants fiscalement, ce sous réserve des règles fiscales correctives.
Dans la mesure où celles-ci trouvent application, les reprises fiscales concernent le plus souvent des charges non justifiées et constituent ensuite des prestations appréciables en argent. Des amendes peuvent en sus être appliquées. Toutefois, on peut s’interroger sur les conséquences pénales, comme dans l’arrêt susmentionné, lorsque les reprises fiscales touchent aux réserves latentes et que la matière imposable n’est pas définitivement perdue, mais simplement reportée.
Force est de constater que lorsque les éléments ne sont pas inventoriés, mal identifiés ou encore que leur évaluation s’avère particulièrement légère, les autorités fiscales semblent habilitées à ouvrir des procédures de rappel d’impôt et/ou de soustraction.
L’auteur s’exprime en son nom personnel.
- 2C_907/2012.
- ATA/475/2012.
- Certes à bien plaire.
- Art. 151 ss LIFD.
- Les factures établies en 2006 et comptabilisées sur cet exercice portaient sur des prestations effectuées en 2005.
- Encore que …
- RDAF 2012, p. 17.
- Pour la période fiscale 2005.
- ASA 79, p. 1015.
- En consultation jusqu’au 30 septembre 2013.
- RS 313.0.
- Art. 959a al. 1 ch. 1 let. d CO.
- Art. 960e al. 4 CO.