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A certaines conditions, les créances des travailleurs bénéficient, dans la faillite de ­l’employeur, d’un traitement privilégié, par le fait qu’elles sont satisfaites avant ­les créances des autres créanciers. Dès le 1er décembre 2010, ce privilège du travailleur sera limité par une reformulation de l’art. 219 LP.

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1. Essence et caractéristiques fondamentales de la procédure de faillite
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Selon la loi, les poursuites à l’encontre d’un chef de raison individuelle, d’un associé d’une société en nom collectif, d’un associé indéfiniment responsable d’une société en commandite, d’un membre de l’administration d’une société en commandite par actions, ou d’une société en nom collectif, d’une société en commandite, d’une société anonyme, d’une société en commandite par actions, d’une société à responsabilité limitée, d’une société coopérative, d’une association, d’une fondation, d’une société d’investissement à capital variable, d’une société en commandite de placements collectifs doivent s’effectuer dans le cadre d’une procédure de poursuite par voie de faillite (art. 39 al. 1 LP).1 Sont exceptées de la poursuite par voie de faillite uniquement les créances garanties par gage, lesquelles doivent être exécutées par la voie de la poursuite en réalisation de gage (art. 41 LP), ainsi que diverses créances pour des prestations fondées sur le droit public, dues à une caisse publique ou à un fonctionnaire, telles que par exemple les impôts, les contributions, les émoluments, les droits et amendes (art. 43 ch. 1 LP), le recouvrement de primes de l’assurance accident obligatoire (art. 43 al. 1bis LP) les créances de prestations d’entretien et d’aliments découlant du droit de la famille (art. 43 ch. 2 LP) et les prétentions découlant de la constitution de sûretés (art. 43 ch. 3 LP).

A la différence de la poursuite par voie de saisie, dans le cadre de laquelle une créance individuelle spécifique est exécutée, et qui est donc désignée d’exécution spéciale, la pour­suite par voie de faillite est une exécution générale qui mène à l’exécution de toutes les créances de l’ensemble des créanciers du débiteur tombé en faillite pour l’ensemble de son patrimoine. Dans la faillite, la totalité des biens réalisables du failli, tous les actifs et passifs, sont inclus et entièrement liquidés.

Le but de cette exécution générale consiste à satisfaire simultanément et si possible de façon égale l’ensemble des créanciers en la faillite selon le principe de l’égalité de traitement. Vu qu’en cas de faillite les actifs recueillis sont en règle générale insuffisants pour satisfaire en­tièrement tous les créanciers, ces derniers ­devraient en principe assumer, conformément au principe de l’égalité de traitement, une part de la perte dans la proportion du montant de leurs créances. Or, le principe de l’égalité de traitement n’a pas été réalisé de façon absolue dans la LP suisse et connaît des exceptions à deux égards:

  • Vu que dans la faillite les valeurs patrimo­niales sous gage du failli tombent aussi dans la masse en faillite, ce sont en premier lieu les créances garanties par gage qui sont traitées de manière privilégiée. Les créances garanties par gage sont colloquées par préférence sur le produit des gages (art. 219 al. 1 LP), c’est-à-dire que les créanciers des créances garanties par gage ainsi que des créances garanties par gage immobilier dues sont satisfaits en premier lieu par le produit obtenu avec la réalisation du gage.2 Si, après l’entière satisfaction des créanciers gagistes il reste un excédent provenant du produit du gage, celui-ci servira à couvrir des créances non garanties par gage. En revanche, si le produit du gage ne suffit pas à couvrir en­tièrement les créances garanties par gage, celles-ci partagent le sort des autres créances non garanties par gage pour le découvert qui demeure.
  • Avant tout pour des raisons sociales, les créances non garanties par gage et le découvert des créances garanties par gage sont répartis par le législateur en trois classes successives. Les créanciers d’une classe subséquente ne peuvent, à cet égard, prétendre au produit restant de la réalisation que lorsque les créanciers de la classe précédente ont pu être entièrement satisfaits (art. 220 al. 2 LP). Sur la base du principe d’égalité de traitement, plusieurs créanciers de la même classe doivent à nouveau être traités à égalité entre eux (art. 220 al. 1 LP). Les créances privilégiées sont, en majorité, des créances de personnes physiques qui se trouvent dans un état de dépendance spécifique vis-à-vis du failli et qui, dans une mesure particulière, sont tributaires de leur satisfaction. Ainsi, par exemple, on trouve dans la première classe, notamment, des créances déterminées d’employés du failli qui sont privilégiées. Ces créances privilé­giées du travailleur seront mises en lumière plus en détail dans la deuxième partie du présent article. Elles sont en concurrence, au sein de la première classe de la faillite, avec des prétentions d’assurés résultant de la loi sur l’assurance-accidents (LAA)3 et de la prévoyance professionnelle non obligatoire, avec des créances d’institutions de prévoyance en faveur du personnel envers les employeurs affiliés ainsi qu’avec des prétentions d’entretien et de soutien du droit de la famille et avec des contributions d’entretien selon la loi sur le partenariat (art. 219 al. 4 LP). Sont privilégiées dans la deuxième classe les créances de substitution de l’enfant résultant de l’administration de son patrimoine dans la faillite du titulaire de l’autorité parentale, les créances de cotisations selon la LAVS 4, la LAI5, la LAA, la LAPG6 et la LACI 7, les créances de primes et de participation aux frais de l’assurance-maladie sociale, les contributions à la caisse de compensation pour allocations familiales et, depuis le 1er janvier 2010, également les créances de taxe sur la valeur ajoutée. Toutes les autres créances ne bénéficient d’aucun privilège et tombent dans la troisième et dernière classe de faillite qui, en règle générale, ne permet aucune couverture intégrale et mène souvent, auprès du créancier, à des pertes massives.
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2. Privilège du travailleur de l’art. 219 al. 4 première classe let. a LP
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2.1 Réglementation autérieure du privilège du travailleur
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2.1.1 Aperçu
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D’après le droit applicable à ce jour, les créances que le travailleur peut faire valoir en vertu du contrat de travail et qui sont nées ou qui sont devenues exigibles pendant le semestre précédant l’ouverture de la faillite, ainsi que les créances résultant d’une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l’employeur et celles en restitution de sûretés étaient privilégiées dans la première classe de faillite.

Sont considérés comme rapports de travail au sens de l’art. 219 al. 4 première classe let. a LP, outre le contrat individuel de travail (art. 319 ss CO8), le contrat d’apprentissage (art. 344 ss CO), le contrat d’engagement des voyageurs de commerce (art. 347 ss OR), le contrat de travail à domicile (art. 351 ss CO) ainsi que le contrat d’engagement pour les marins sur les navires battant pavillon suisse (art. 68 ss LNM9).

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2.1.2 Créances de travailleurs résultant des rapports de travail qui sont nées ou qui sont devenues exigibles pendant le semestre précédant l’ouverture de la faillite
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Font notamment partie des créances du travailleur découlant des rapports de travail les prétentions suivantes:10

  • les créances de salaire;
  • le droit à la subsistance et au logement;
  • le droit à une indemnité pour heures supplémentaires accomplies;
  • le droit au 13e salaire mensuel;
  • le droit à une part du bénéfice;
  • le droit à une provision;
  • le droit à une gratification;
  • le droit à une indemnité pour les appareils ou le matériel mis à disposition par le travailleur lui-même;
  • le droit au remboursement des dépenses;
  • le droit à une indemnité pour vacances non perçues;
  • le droit à une rémunération pour les inventions du travailleur;
  • le droit à une indemnité pour congé abusif;
  • le droit résultant d’un congé immédiat;
  • les prétentions salariales des survivants d’un travailleur décédé (versement du salaire postérieur au décès);
  • le droit à une indemnité de départ.
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En principe, seules les créances du travailleur résultant des rapports de travail, qui sont nées ou qui sont devenues exigibles pendant les six mois précédant l’ouverture de la faillite, profitent du privilège. Par contre, le montant des prétentions du travailleur, nées ou devenues exigibles dans ce laps de temps, ne joue aucun rôle. Le droit actuel n’a pas limité le privilège de la faillite du travailleur à une somme maximale déterminée. A ce jour, les travailleurs disposant de prétentions salariales très élevées pouvaient donc tirer profit du privilège avec l’intégralité de leur créance salariale née ou devenue exigible avant l’ouverture de la faillite dans la période déterminante. Cette circonstance a cependant été atténuée par le fait que la jurisprudence a généralement exclu du privilège de la faillite les employés dirigeants, notamment les directeurs et les membres des conseils d’administration qui ne se trouvent pas dans un rapport de dépendance ou de subordination par rapport à l’employeur, soit les travailleurs qui, en règle générale, perçoivent au sein d’une entreprise les salaires les plus élevés.11

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2.1.3 Créances résultant d’une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l’employeur
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Une dissolution anticipée des rapports de travail suite à la faillite de l’employeur au sens de l’art. 219 al. 4 première classe let. a LP se présente lorsque l’administration de la faillite ne poursuit pas les rapports de travail après l’ouverture de la faillite et que, partant, le travailleur ne reste pas employé jusqu’au terme du délai de congé ordinaire ou, en cas de contrat de travail de durée déterminée, jusqu’au terme de la durée contractuelle déterminée. Les prétentions du travailleur naissant dans de tels cas cor­respondent à celles qui lui reviennent selon l’art. 337c al. 1 et 2 CO dans le cas d’un congé immédiat injustifié.12 Est par conséquent privilégié le droit du travailleur au remplacement de ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé ou à la cessation du contrat conclu pour une durée déterminée (art. 337c al. 1 CO). Le travailleur doit toutefois se laisser imputer sur ce droit ce qu’il a épargné par suite de la cessation du contrat de travail ainsi que le revenu qu’il a tiré d’un autre travail ou le revenu auquel il a intentionnellement renoncé (art. 337c al. 2 CO). Une limitation du privilège à des créances nées ou devenues exigibles pendant les six mois précédant l’ouverture de la faillite ne s’applique pas aux créances dues à une dissolution prématurée des rapports de travail suite à la faillite de l’employeur.

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2.1.4 Créances en restitution de sûretés
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Dans la mesure où l’employeur, sur la base de l’art. 323a CO, a retenu une partie du salaire du travailleur en tant que sûreté pour d’éventuelles créances résultant des rapports de travail ou a reçu directement du travailleur une telle sûreté selon l’art. 330 al. 1 CO, et qu’il n’a pas détenu cette sûreté séparément de son patrimoine, le droit du travailleur à la restitution de cette sûreté est également privilégié. Ce privilège n’est non plus limité au délai de six mois fixé pour les créances générales du travailleur découlant des rapports de travail. En revanche, si l’employeur a détenu la sûreté séparément de sa fortune, celle-ci ne tombe pas dans la masse en faillite, raison pour laquelle le travailleur peut en demander directement la restitution et ne doit pas soumettre de créance afférente dans la faillite.13

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2.2 Nouvelle réglementation du privilège du travailleur dès 1er décembre 2010
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2.2.1 Généralités
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Selon la disposition transitoire concernant la révision de l’art. 219 al. 4 première classe LP, les privilèges prévus par l’ancien droit continuent à s’appliquer à tous les cas dans lesquels la faillite a déjà été prononcée avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles en date du 1er décembre 2010. Ces dernières ne s’appliquent donc que si la faillite est prononcée le 1er décembre 2010 ou ultérieurement.14

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2.2.2 Limitation du privilège du ­travailleur
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Avec l’entrée en vigueur de l’art. 219 al. 4 LP révisé au 1er décembre 2010, le privilège de la faillite pour les créances du travailleur résultant des rapports de travail est désormais limité à un montant maximum. Celui-ci correspond au salaire annuel maximal assuré selon l’assurance-accidents obligatoire (art. 219 al. 4 première classe let. a LP dans la version en vigueur dès le 1er décembre 2010), lequel s’élève actuellement, depuis le 1er janvier 2008, à CHF 126 000.– (art. 22 al. 1 OLAA15). Dans la mesure où la somme de toutes les prétentions du travailleur résultant des rapports de travail, qui ne sont pas nées ou devenues exigibles plus tôt que six mois avant l’ouverture de la faillite, dépasse le montant actuel de CHF 126 000.– (brut),16 il n’existe dorénavant plus qu’un privilège de l’étendue de CHF 126 000.– dans la première classe, alors que la créance pour l’excédent ne peut être colloquée qu’en troisième classe.17

Par conséquent, les travailleurs avec des prétentions salariales très élevées ne vont à l’avenir plus pouvoir profiter, dans la période concernée, du privilège avec l’ensemble de leur créance de salaire née ou devenue exigible avant l’ouverture de la faillite. Il s’avérera si la jurisprudence, dans ces circonstances, maintiendra sa pratique sévère actuelle, d’après laquelle les employés dirigeants qui n’ont pas de rapport de dépendance ou de subordination vis-à-vis de l’employeur sont exclus de façon générale du privilège de la faillite.18 Cependant, la nouvelle réglementation légale veillera dans tous les cas à ce que la collocation d’une créance salariale d’un travailleur bénéficiant d’un très bon revenu, dans la première classe, ne pourra plus se répercuter dans une étendue illimitée au pré­judice des autres créanciers de cette classe ­respectivement des classes de créanciers suivantes.

La prétention du travailleur en restitution de ­sûretés n’est pas concernée par la limitation du privilège. Ce point a été mis en évidence en transférant le privilège, déjà existant selon le droit applicable à l’art. 219 al. 4 LP dans la première classe, en une nouvelle let. abis.19 En ce qui concerne le privilège de prétentions des ­travailleurs en restitution de sûretés, aucun changement n’intervient dans ce sens, même après le 1er décembre 2010.

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2.2.3 Créances de travailleurs en vertu d’un plan social
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Fondamentalement, les créances des travailleurs en vertu de plans sociaux sont traitées comme toutes les autres créances résultant des rapports de travail, et ce même après l’entrée en vigueur de l’art. 219 al. 4 LP. Ainsi, un privilège en première classe ne reste possible également pour des créances en vertu de plans sociaux que si les créances ne sont pas nées ou devenues exigibles plus tôt que six mois avant l’ouverture de la faillite. Toutefois, à l’instar de la prétention du travailleur en restitution de ­sûretés, les créances des travailleurs en vertu de plans sociaux ont également été exceptées de la limitation nouvellement créée du privilège à un montant maximum.20 Partant, il ne s’opère aucun changement non plus pour les créances de travailleurs en vertu de plans sociaux avec l’entrée en vigueur des nouvelles règles en date du 1er décembre 2010. Cependant, leur privilège sera désormais stipulé expressément dans une nouvelle let. ater nouvellement créée.

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  1. Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP); RS 281.1.
  2. Les créances non exigibles garanties par gage immobilier ne sont pas acquittées et liquidées, mais déléguées à l’acquéreur (art. 135 al. 1 LP).
  3. Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’assurance-­accidents (LAA); RS 832.20.
  4. Loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS); RS 831.10.
  5. Loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité ­(LAI); RS 831.20.
  6. Loi fédérale du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (loi sur les allocations pour perte de gain, LAPG); RS 834.1.
  7. Loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (loi sur l’assurance-chômage, LACI); RS 837.0.
  8. Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (livre cinquième: droit des obligations, CO); RS 220.
  9. Loi fédérale du 23 septembre 1953 sur la navigation maritime sous pavillon suisse (LNM); RS 747.30.
  10. Cf. l’énumération chez Peter Hansjörg, in: Staehelin Adrian / Bauer Thomas / Staehelin Daniel (éd.), Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, SchKG II, Bâle / Genève / Munich 1998, N 34 ad art. 219 LP.
  11. Cf., par exemple, le résumé de la jurisprudence dans ATF 118 III 46, consid. 2, ainsi que les explications données par Peter Hansjörg, loc. cit., N 31 ad art. 219 LP, et par Stöckli Kurt / Possa Philipp, in: Hun­keler Daniel (éd.), Kurzkommentar SchKG, Bâle 2009, N 19 ad art. 219 LP.
  12. Peter Hansjörg, loc. cit., N 41 ad art. 219 LP; Stöckli ­Kurt / Possa Philipp, loc. cit., N 26 ad art. 219 LP.
  13. Peter Hansjörg, loc. cit., N 42 ad art. 219 LP; Streiff Ullin / von Kaenel Adrian, Arbeitsvertrag, Praxiskommentar zu Art. 319–362 OR, 6e éd., Zurich / Bâle / Genève 2006, N 7 ad art. 330 CO.
  14. Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), Modification du 18 juin 2010, FF 2010, p. 3869 s.
  15. Ordonnance du 20 décembre 1982 sur l’assurance-accidents (OLAA); RS 832.202.
  16. Avis du Conseil fédéral du 11 novembre 2009 sur le rapport du 26 juin 2009 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national; FF 2009, p. 7226 s.
  17. Rapport du 26 juin 2009 de la Commission des af­faires juridiques du Conseil national; FF 2009, p. 7220 s.
  18. Cf. ch. 2.1.2 ci-dessus et les indications dans la note 11 en bas de page.
  19. Rapport du 26 juin 2009 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national; FF 2009, p. 7221.
  20. Avis du Conseil fédéral du 11 novembre 2009 sur le rapport du 26 juin 2009 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national; FF 2009, p. 7227 s.
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