A l’art. 959b al. 2 et 3 CO, le législateur formule des dispositions plus cohérentes concernant l’organisation du compte de résultat. Un compte de résultat par nature, mais aussi un compte de résultat par fonction sont désormais possibles; le résultat annuel à présenter en définitive est toutefois le même dans ces deux variantes de présentation. Compte tenu du récapitulatif obligatoire de certaines positions / de leur ordre désormais prévu par le législateur, la délimitation entre les positions hors exploitation et les positions exceptionnelles, uniques ou hors période revêt notamment une grande importance dans la pratique.
Le résultat de la période (bénéfice ou perte d’une entreprise) peut être calculé aussi bien à partir du compte de résultat (tableau des flux financiers périodique) que du bilan (bilan lié à une date de référence). Alors qu’une confrontation des charges et des produits est requise dans le compte de résultat, le bilan compare les actifs nets au début de la période sous revue aux actifs nets à la fin de la période sous revue. Les actifs nets (capitaux propres selon l’art. 959a al. 2 ch. 3 CO) correspondent au solde des actifs (art. 959a al. 1 CO) moins le solde des capitaux étrangers à court terme et à long terme (art. 959a al. 2 ch. 1 et 2 CO). Les exceptions à ce principe de la détermination du résultat sont les transactions avec une écriture de contrepartie directement dans les capitaux propres, comme c’est p.ex. possible lors des augmentations et / ou des remboursements de capital ou lors de l’acquisition / la vente des propres parts de capital.1 Notons que tous les processus d’évaluation ont également une influence déterminante sur le compte de résultat, l’impact pouvant parfois être si fort que la perception de la fourniture de prestation s’en trouve faussée. Cette restriction concernant la qualité de la présentation s’explique par le fait que le Code des obligations autorise les réserves latentes d’appréciation et les réserves latentes arbitraires lors de l’évaluation (p.ex. art. 960aal. 4 CO ou art. 960e al. 3 ch. 4 CO). La création ou la dissolution de tels montants a une influence sur la détermination du bénéfice. Elle ne doit cependant être présentée dans l’annexe que dans le cas d’une dissolution nette importante (art. 959c al. 1 ch. 3 CO); mais non dans le cas d’une constitution nette.2
D’un point de vue pratique, la structure / l’ordre obligatoire est d’une grande importance, en dehors de cette problématique induite par l’évaluation. Dans ce contexte, la présente contribution esquisse la délimitation fréquemment discutée entre le résultat hors exploitation et le résultat exceptionnel, unique ou hors période. Même si cette délimitation n’a aucune influence sur le solde ainsi que sur l’autorité du bilan fiscalement déterminante, il est important de choisir les possibilités d’affectation qui servent effectivement à atteindre la «présentation des résultats» exigée par le législateur (cf. l’art. 959b al. 1 CO).3
A l’art. 959b, le CO exige la présentation séparée des charges et produits hors exploitation dans le compte de résultat par nature et le compte de résultat par fonction, sans toutefois préciser ce qu’il faut entendre par ces positions.4 Aucune subdivision de ce genre n’est exigée pour le bilan, bien qu’il comporte également des actifs et des passifs à des fins hors exploitation (au sens de «source» des charges et produits hors exploitation). On peut supposer que le législateur s’est également appuyé sur les Swiss GAAP RPC lors de l’élaboration de cette liste, une certaine similitude avec les Swiss GAAP RPC 3 étant indéniable. Les titres intermédiaires habituels dans les Swiss GAAP RPC (p.ex. EBIT, bénéfice brut, etc.) n’ont cependant pas été repris dans le CO, bien qu’ils puissent être utilisés sur une base facultative.
En référence aux Swiss GAAP RPC 3 ch. 18 (RPC 3/18), il est donc possible, en interprétation du Code des obligations, de qualifier de «hors exploitation» les transactions pouvant être délimitées par rapport à l’«activité ordinaire». Selon cette différenciation, il ne doit cependant pas s’agir d’événements «rares», mais d’événements qui se produisent avec une certaine régularité et qui ne sont donc pas exceptionnels, uniques ou hors période.
Contrairement aux positions exceptionnelles, uniques ou hors période, il n’y a pas d’obligation explicite d’expliquer les positions hors exploitation dans l’annexe. En pratique, il sera pourtant plus qu’utile de présenter des informations supplémentaires à ce sujet (au sens de l’art. 959c al. 1 ch. 2 CO)5 dans l’annexe. Cela s’explique notamment aussi en raison des prescriptions des principes régissant l’établissement régulier des comptes à l’art. 958c al. 1 CO, selon lesquelles l’établissement des comptes doit être compréhensible.6
D’un point de vue pratique, cette délimitation entre l’activité «ordinaire» et «extraordinaire» devrait souvent se traduire par d’importantes marges de manœuvre dans l’établissement du bilan, autrement dit le contraire de ce qu’une autorité de régulation souhaiterait en principe. Les normes internationales d’établissement des comptes s’écartent d’une telle subdivision; ni les IFRS ni la directive de l’UE relative aux états financiers (DIRECTIVE 2013/34/UE) ne présentent une différenciation correspondante.7 Il est donc conseillé d’utiliser la qualification «hors exploitation» des charges et produits avec beaucoup de circonspection, car tous les produits et toutes les charges doivent en définitive pouvoir être justifiés par des décisions commerciales stratégiques. Il faut par ailleurs veiller à ne pas mélanger inutilement les notions de «rare» et de «hors exploitation».
Exemples de résultats qui sont certes rares mais néanmoins typiques pour l’exploitation (et qui ne doivent donc pas être comptabilisés comme résultats hors exploitation):8
- Visite d’une foire tous les quatre ans
- Fête d’entreprise tous les cinq ans
- Perte de créance sur une créance client importante (élevé)
- Adaptation ou modification d’une estimation.
Exemples de résultats qui ne sont pas rares mais peuvent être hors exploitation (et qui peuvent donc être comptabilisés comme résultats hors exploitation):
- Produits et charges résultant de la location, de l’affermage et de la vente d’immeubles non nécessaires à l’exploitation
- Produits et charges résultant de l’acquisition, de la détention et de la vente d’actifs financiers et de participations non nécessaires à l’exploitation.
Les «bénéfices provenant de l’aliénation d’actifs immobilisés» saisis dans le droit des actionnaires dans la version jusqu’au 31.12.20129 devraient également pouvoir être qualifiés très souvent de «hors exploitation» (art. 663 al. 2a CO). Le plan comptable PME ne prévoit aucune subdivision supplémentaire de la comptabilisation pour les charges et produits hors exploitation; les comptes 8000 Charges hors exploitation et 8100 Produits hors exploitation sont conçus comme des comptes globaux, mais peuvent parfaitement être subdivisés davantage. D’un point de vue pratique, cela semble cependant relativement inutile; l’explication / la présentation déjà évoquée des opérations déterminantes dans l’annexe aux comptes annuels est plus précieuse.
Les charges et produits hors exploitation doivent également être présentés séparément («principe du produit brut»); la présentation d’un résultat hors exploitation dans le compte de résultat avec juste la présentation des charges et produits hors exploitation dans l’annexe doit être refusée.
Pour toutes les entreprises qui établissent également un tableau de financement, il est essentiel de comprendre que la subdivision exploitation / hors exploitation / extraordinaire, etc. opérée dans le compte de résultat constitue un processus limité à cette partie des comptes annuels. Il serait tout à fait inhabituel dans des comptes CO (mais pas formellement interdit) de subdiviser les flux de trésorerie liés aux activités d’exploitation en trois domaines partiels. Selon les Swiss GAAP RPC 4 ou lAS 7, cela ne serait pas recevable. Le fait que l’expression «… liés aux activités d’exploitation» (en anglais: operating activities) suggère tout à fait autre chose fait régulièrement débat dans la pratique.
L’art. 959b CO prévoit aussi bien pour le compte de résultat par nature utilisé par presque toutes les PME en Suisse que pour le compte de résultat par fonction (méthode de l’affectation des charges par fonction) désormais possible, mais qui ne devrait pas être très répandu à l’avenir, la présentation explicite et séparée des charges et produits extraordinaires, uniques ou hors période. Conformément à la conception pour le «résultat hors exploitation», il n’est pas non plus spécifié ce qu’il faut précisément entendre par de telles positions. Le message10 regroupe à ce titre des opérations inhabituelles, généralement uniques ou sans lien particulier avec la marche des affaires. Une délimitation explicite et claire des trois domaines partiels à l’intérieur de la position (hors période, unique et extraordinaire) ne peut pas être considérée comme étant possible sans restriction dans la pratique. Cette évaluation correspond à celle du législateur, car il regroupe la présentation de telles écritures dans une seule position et prévoit des explications correspondantes dans l’annexe (art. 959c al. 2 ch. 12 CO); mais même là il ne faut pas s’attendre à ce que les montants de chaque cas particulier puissent être répartis entre les trois domaines partiels avec une grande précision et sans liberté d’appréciation. Pour cette raison, les réflexions relatives à cette position en trois parties du compte de résultat doivent rester à un niveau global.
Le plan comptable PME suisse tente de les détailler. Il distingue les groupes
- 850 extraordinaire
- 860 unique
- 870 hors période.
Les quatre critères
1) Le résultat se situe hors de l’activité commerciale durant l’année sous revue,
2) Le résultat se situe par nature hors de l’activité commerciale,
3) Le résultat est récurrent conformément aux attentes,
4) Le résultat est déterminant,
peuvent être utilisés pour la classification dans les trois groupes.11
Les caractéristiques des domaines 850 extraordinaire et 860 unique coïncident pour les critères 1) à 4): les critères 1), 2) et 4) doivent être confirmés, le critère 3) doit être dénié. Une délimitation s’avérera être très difficile. Un résultat unique dans le domaine 860 devrait être très rare en réalité; on peut par exemple penser aux charges résultant de l’expropriation d’une partie (importante) de l’entreprise.12
Davantage d’événements sont envisageables pour le domaine 850 extraordinaire. Ainsi, les faits suivants y seront p.ex. reproduits:13
- Création ou dissolution extraordinaire de provisions
- Gain ou perte de change extraordinaire
- Amortissements, correctifs de valeurs et pertes extraordinaires
- Pertes de créances extraordinaires.
Selon les Swiss GAAP RPC 3/19, les charges et produits extraordinaires ne sont généralement pas jugés prévisibles.
Les résultats hors période (domaine 870) remplissent les critères 1), 3) et 4), autrement dit il ne s’agit en principe pas d’événements qui se situent en dehors de l’activité commerciale. On peut par exemple penser aux événements suivants:
- Correction au résultat d’erreurs et d’anomalies d’une année antérieure (à la différence des standards comptables tels que IAS 8, il n’y a pas de restatement ou d’adaptation rétrospective des chiffres de l’exercice précédent dans le CO)
- Produits de prestations d’assurance / de dédommagement
- Produits des rétrocessions
- Réductions actives des réserves latentes arbitraires14.
Dans le sens d’une liste négative, tous les événements qui relèvent de la «vie d’une entreprise» ne sont pas extraordinaires; on peut penser aux charges de restructurations, fusions et plans sociaux.
Tant la directive de l’UE relative aux états financiers que les normes comptables internationales ne connaissent pas de domaines hors exploitation ou extraordinaire / uniques / hors période; le CO et les Swiss GAAP RPC connaissent ces deux domaines, les Swiss GAAP RPC ne parlant que de «charges et produits extraordinaires». La «marge de manœuvre» possible dans ce domaine constitue sans doute la principale raison de la réglementation internationale; une vision fiable de la situation économique peut éventuellement être entravée par une utilisation (trop) extensive de la classe de comptes 7 (résultat accessoire d’exploitation). Dans l’optique de la présentation des comptes, cet aspect plaide en faveur d’une utilisation de la subdivision exploitation / hors exploitation principalement dans les problématiques relatives à l’évaluation de l’entreprise, mais non au quotidien en tant que passation en compte indépendante: en définitive, chaque activité de l’entreprise est une décision d’«exploitation»; il n’en va autrement que lorsque des parties ou des activités doivent être aliénées et deviennent donc des parties «hors exploitation». Dans ce cas, une séparation entre bilan, compte de résultat et tableau de financement doit toutefois être opérée, ainsi que l’exigeraient par exemple les normes comptables internationales (p.ex. IFRS 5).
Bien qu’aucune preuve scientifique ne puisse vraisemblablement être apportée, il est sans doute difficile de dénier en ce qui concerne le résultat extraordinaire / unique / hors période qu’il devrait y avoir chez beaucoup d’utilisateurs une tendance à affecter autant de charges que possible au domaine unique, hors période ou extraordinaire afin d’afficher de meilleurs résultats d’exploitation. En ce qui concerne les produits, la tendance serait plutôt d’attester d’un lien avec l’exploitation et de taxer de telles opérations de stratégiques.
Dans la pratique de l’établissement des comptes, il est vivement recommandé d’utiliser l’affectation au domaine hors exploitation, extraordinaire et unique de façon très restrictive; notamment dans la perspective de la problématique de la continuité qui est ainsi beaucoup plus facile à gérer. La séparation des résultats hors période semble en revanche importante et souhaitable.
Pour finir, nous constatons que c’est la «dernière ligne» (Bottom line) du compte de résultat qui décide de la poursuite de l’entreprise (notamment à long terme) et non les lignes intermédiaires qui occultent les «effets spéciaux» ou s’attachent davantage à des vœux pieux qu’à la réalité.15
Fontana, Marco; Handschin, Lukas: Ausweis stiller Reserven in der Erfolgsrechnung, in: L’Expert-comptable suisse, no 8/2014, p. 650 – 657.
Hüttermann, Kai; Knappstein, Janina: Darstellung und Bedeutung des Other Comprehensive Income, in: Kapitalmarktorientierte Rechnungslegung (KoR), no 12/2014, p. 586 – 593.
Mattle, Herbert: Buchhalter, macht Euch das Leben nicht schwer, in: Rechnungslegung und Controlling, 3/2014, p. 1 – 5.
Pfaff, Dieter et al. (éd.): Rechnungslegung nach Obligationenrecht, Zurich 2014.
Sterchi, Walter; Mattle, Herbert; Helbling, Markus: Kontenrahmen, Zurich 2013.
Chambre fiduciaire (éd.): Schweizer Handbuch der Wirtschaftsprüfung, Band «Buchführung und Rechnungslegung», Zurich 2014 (HWP).
- Lors de l’application de normes comptables telles que les IFRS, les charges et produits sont parfois aussi enregistrés directement dans les capitaux propres (Other Comprehensive Income), p.ex. les adaptations de l’évaluation de certaines valeurs mobilières ou les réévaluations ou dévaluations de certaines positions de l’actif immobilisé évaluées à la «juste valeur». Cf. à ce sujet pour plus de détails (critiques) Hüttermann / Knappstein (2014), p. 586 – 593.
- Il n’y a pas non plus d’obligation de présentation des réserves latentes dans l’annexe.
- Il est incontestable que la séparation des deux domaines est obligatoire, tant pour le compte de résultat par nature que pour le compte de résultat par fonction, cf. notamment Pfaff, in: Pfaff (2004), p. 386 ss.
- Le droit de la société anonyme dans sa forme valable jusqu’au 31.12.2012 exigeait déjà une distinction correspondante (art. 663 al. 1a CO); l’avant-projet publié par le Conseil fédéral en 2005 n’exigeait initialement que la présentation des résultats extraordinaires, sans prévoir de catégorie distincte «hors exploitation»; le CF a modifié son point de vue suite à différentes opinions exprimées dans la procédure de consultation, complétant le message publié en 2007 par les exigences correspondantes, cf. Pfaff (2014), p. 388.
- Cf. HWP (2014), p. 274.
- Cf. Sterchi / Mattle / Helbling (2013), p. 129.
- Cf. Pfaff (2014), p. 386.
- Cf. HWP (2014), p. 275, et Pfaff (2014), p. 386.
- Les articles du CO de cette version sont désignés par a CO.
- Cf. Feuille fédérale (FF) 2007 (no 11), p. 1607.
- Cf. Pfaff (2014), p. 387.
- Cf. Pfaff (2014), p. 387.
- Cf. Mattle (2014), p. 5.
- Cf. Fontana / Handschin (2014), p. 656. Les auteurs vont encore plus loin dans leurs explications en souhaitant présenter également comme produit hors période une réduction exogène des réserves latentes arbitraires (en invoquant le principe du produit brut), ce qui se traduirait cependant par une saisie supplémentaire (ordinaire) de charges.
- Cf. Mattle (2014), p. 1.