Compte tenu du droit de la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes révisé (art. 957 ss CO) qui devra obligatoirement s’appliquer à partir du 1er janvier 2015, les questions relatives à la comptabilité commerciale et à la présentation des comptes ne devront pas être discutées uniquement dans l’optique du droit des obligations pour les personnes concernées, mais aussi dans la perspective de la déterminance du bilan commercial pour l’imposition fiscale. La présente contribution illustre des règles d’établissement du bilan choisies et essentielles ainsi que les ajustements fiscaux nécessaires pour les thématiques «obligation d’inscription à l’actif», «amortissements» et «provisions».
Compte tenu du droit de la comptabilité commerciale et de la présentation des comptes révisé (art. 957 ss CO)1 qui devra obligatoirement s’appliquer à partir du 1er janvier 2015, les questions relatives à la comptabilité commerciale et à la présentation des comptes ne devront pas être discutées uniquement dans l’optique du droit des obligations pour les personnes concernées, mais aussi dans la perspective de la déterminance du bilan commercial pour l’imposition fiscale. Ainsi, l’art. 57 LIFD2 dispose que l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, sachant que l’art. 58 al. 1 ch. a LIFD qualifie le compte de résultats comme base de calcul du bénéfice net imposable. Le bénéfice déterminant pour la fixation de l’impôt est par conséquent déterminé sur la base du solde du compte de résultats3 établi selon les art. 957 ss CO (cf. l’art. 58 al. 1 ch. a LIFD «clause générale»). Il est cependant possible de s’écarter du bénéfice ou de la perte déterminés conformément au CO, s’il existe des règles de détermination du bénéfice fiscal particulières. La présente contribution illustre des règles d’établissement du bilan choisies et essentielles ainsi que les ajustements fiscaux nécessaires pour les thématiques «obligation d’inscription à l’actif», «amortissements» et «provisions». Les explications se concentrent sur les dispositions de l’impôt fédéral direct. Cette contribution ne prétend pas traiter la thématique dans son intégralité, mais permet néanmoins de démontrer quelles peuvent être les interrogations pertinentes dans la pratique.
L’art. 58 al. 1 let. b LIFD exige la compensation des «frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisés». Dans l’optique de la LIFD, il s’agit ainsi de s’assurer que les investissements devant être portées à l’actif du point de vue fiscal seront bien comptabilisés au bilan et pas seulement comme charge (p.ex. comptabilisation du nouveau mobilier comme «Autres charges d’exploitation»).
Dans l’optique du Code des obligations, cette disposition n’est sans doute pas très problématique dans la pratique. L’art. 959 al. 2 CO postule déjà l’obligation de comptabilisation au bilan des éléments du patrimoine dès lors qu’ils remplissent les caractéristiques constitutives permettant de les porter au bilan.4 A l’inverse, l’art. 960a al. 1 CO permet cependant aussi que les éléments du patrimoine puissent être évalués en dessous du coût d’acquisition lors de leur première comptabilisation. En ce qui concerne le montant, ce point n’est approuvé que dans la mesure où il peut s’agir tout au plus de la constitution de réserves latentes d’appréciation (et non de réserves latentes arbitraires).5
Une infraction à cette obligation de porter à l’actif énoncé à l’art. 959 al. 2 CO peut ainsi être fiscalement ajustée, au moyen d’une correction du bilan. La justification correspondante serait qu’en présence de comptes annuels contraires au droit commercial, il n’y aurait plus d’attachement fiscal au résultat commercial.6 Dans la mesure où la première comptabilisation (inscription à l’actif) est suivie d’un amortissement immédiat, c’esten principe possible en droit commercial (l’art. 960a al. 4 CO autorise aussi expressément la constitution de réserves latentes arbitraires pour ces formes). En droit fiscal, c’est alors la disposition de l’art. 62 LIFD concernant les amortissements qui s’applique (cf. la section suivante).
Selon l’art. 62 al. 1 LIFD, les amortissements des actifs sont autorisés s’ils sont justifiés par l’usage commercial. Ils doivent être comptabilisés dans le compte de résultats pour qu’il soit possible de les faire valoir au plan fiscal (art. 959b al. 2 ch. 6 CO). Des tableaux d’amortissements (complémentaires) séparés doivent être tenus en cas d’utilisation d’un «carnet du lait» selon l’art. 957 al. 2 CO.7
Le Code des obligations ne prescrit aucune méthode d’amortissement particulière à l’art. 960a al. 3 CO. En pratique, il est donc conseillé d’utiliser l’une des méthodes prévues par le droit fiscal. Celui-ci connaît les méthodes d’amortissement détaillées ci-après:8
Amortissement d’un actif selon la dépréciation effectivement mesurable. Cette méthode est plutôt rare en pratique sur une large base, elle est la plus fréquente en présence d’une correction de valeur clairement mesurable (p.ex. incendie d’un bâtiment).
La diminution future estimée d’un actif (calculée en tant que différence entre le coût d’acquisition et la valeur résiduelle estimée) est périodisée sur la durée d’utilisation pronostiquée (en principe les investissements initiaux moins la valeur résiduelle estimée sont ainsi «répartis» sur la période d’utilisation). La méthode linéaire et la méthode dégressive sont notamment considérés comme des principes reconnus (et également précisés dans les notices de l’AFC). En pratique, des taux de dépréciation forfaitaires sont indiqués, les pourcentages pour la méthode linéaire représentant précisément la moitié des taux de la méthode dégressive.9
Des «amortissements immédiats» sont acceptés dans différents cantons (souvent aussi reconnus pour l’impôt fédéral direct). Dans cette méthode, une valeur résiduelle (valeur de liquidation) est définie en relation avec la valeur d’acquisition à porter à l’actif. Dans le canton de Zurich, ce taux d’amortissement qui en résulte se distingue par exemple du fait qu’il s’agit d’actifs à long ou à court terme au sein de l’actif immobilisé. Ainsi, les actifs circulant à remplacer au fur et à mesure (p.ex. machines et meubles) sont traités avec un taux d’amortissement de 80 % sur la valeur d’acquisition. Dans le cas des bâtiments, l’amortissement immédiat se situe entre 20 % et 60 % des coûts d’investissement; selon l’emplacement et les possibilités de l’objet.
Selon l’art. 960a al. 4 CO, des amortissements et corrections de valeur supplémentaires peuvent être comptabilisés à des fins de remplacement et de garantie de la prospérité de l’entreprise à long terme. La mention «pour assurer la prospérité de l’entreprise à long terme» sert régulièrement de justificatif dans la pratique pour minimiser arbitrairement les actifs. Le message du 21 décembre 2007 esquissait déjà que la pratique en droit commercial ne préjugeait pas de la prise en compte fiscale, autrement dit que les autorités fiscales peuvent définir leurs propres critères pour fixer le montant des taux d’amortissement.10 Dans son analyse publiée dès février 2013, la Conférence suisse des impôts (CSI) en conclut que les amortissements et corrections de valeur selon l’art. 960a al. 4 CO ne doivent pas être reconnus comme étant justifiés par l’usage commercial (à l’exception des amortissements uniques).11 Les différences ainsi engendrées se traduisent par une compensation lors de la détermination du bénéfice imposable.
Les provisions sont en quelque sorte définies deux fois dans le CO.
- D’une part, elles sont assujetties aux critères de l’art. 960e al. 2 CO. Une comptabilisation au bilan serait ainsi nécessaire si
a. un événement passé débouche sur une
b. perte d’avantages économiques
lors d’exercices futurs. L’obligation de comptabilisation au bilan s’applique dès que les critères sont remplis: une situation (ultérieure) où le respect n’a plus besoin d’être approuvé n’entraîne pas automatiquement une dissolution de la provision; celle-ci peut être dissoute au choix ou continuer à être portée au bilan (art. 960e al. 4 CO); dans ce dernier cas, il en résulte la constitution de réserves latentes. La nécessité de faire systématiquement passer la constitution et la dissolution par le même compte est controversée, tout comme le fait de savoir s’il s’agit ici d’une charge ou d’un produit extraordinaire.12 - Les provisions sont par ailleurs décrites par quatre exemples à l’art. 960e al. 3 CO, ces exemples contredisant en partie les critères énoncés au point 1 (aussi bien la let. b [aucun événement passé] que la let. d [pas nécessaire un événement passé] ci-après).
a. Provisions pour garantie
b. Provisions pour la remise en état des immobilisations corporelles
c. Provisions pour restructurations
d. Provisions pour assurer la prospérité de l’entreprise à long terme.
Au plan fiscal, les provisions selon l’art. 63 al. 1 LIFD sont admises pour
- les engagements de l’exercice dont le montant ou la date de survenance sont encore indéterminés;
- les risques de pertes sur des actifs circulants, notamment sur les marchandises et les débiteurs;
- les autres risques de pertes imminentes durant l’exercice (mais pas de façon forfaitaire pour de tels risques de périodes futures);
- les futurs mandats de recherche et de développement confiés à des tiers, jusqu’à 10% au plus du bénéfice imposable, mais au total jusqu’à 1 million de francs au maximum.
Une comparaison de cette énumération et des remarques faites en introduction débouche sur les conclusions suivantes, déterminantes pour la pratique:
L’art. 63 al. 1 LIFD enregistre également les risques de pertes en relation avec l’actif circulant sous le terme générique de provisions, bien que de telles positions devraient être classées parmi les corrections de valeur selon le Code des obligations (art. 960a al. 3 CO). De telles corrections de valeur selon le CO correspondent à toutes les dépréciations sur des actifs, à l’exception de celle qui résultent de l’usage ou de la dépréciation en raison de l’âge; il s’agirait d’amortissements. Les corrections de valeur sur des actifs circulants justifiées par l’usage commercial peuvent cependant être comptabilisées comme charges d’exploitation, ne serait-ce qu’aux termes de l’art. 58 al. 1 let. b LIFD. L’art. 63 LIFD entre en jeu, au sens d’une règle de comptabilisation fiscale divergente, là où le CO autoriserait aussi une comptabilisation plus étendue des charges. Les cas classiques de corrections de valeur sur l’actif circulant qui relèvent de la disposition de l’art. 63 al. 1 LIFD sont les corrections de valeur sur les marchandises et les débiteurs explicitement citées dans le texte de loi.
La position désormais possible selon l’art. 960b al. 1 CO doit également être saisie au plan fiscal sous l’art. 63 al. 1 LIFD, ce qui signifie qu’elle représente un risque de perte pour une position de l’actif circulant. Selon les explications de la CSI, de telles constitutions doivent être autorisées «dans le cadre des fluctuations de change habituelles» en ce qu’elles sont justifiées par l’usage commercial.13 Malheureusement, cette formulation n’indique pas clairement quelle fluctuation est «habituelle» (en matière financière, il s’agit sans doute de la volatilité). Il est à espérer que les explications de la CSI seront précisées et que des réglementations forfaitaires similaires, telles qu’elles ont également été fixées pour les banques et les sociétés d’assurance dans des cas similaires, s’appliquent également ici.14
Les montants des futurs mandats de recherche et de développement confiés à des tiers ne constituent pas non plus des provisions au sens du CO. Leur constitution est toutefois admise en droit commercial en référence à l’art. 960e al. 3 ch. 4 CO et doit également être comptabilisée ainsi, si l’on veut la faire valoir fiscalement.
Ils relèvent également de la notion de provision selon le CO, tout comme les «autres risques de pertes imminentes durant l’exercice».
Selon l’art. 63 al. 2 LIFD, celles-ci doivent être dissoutes, ce qui signifie qu’elles sont fiscalement compensées si ce n’est pas le cas en droit commercial (en vertu de l’art. 960e al. 4 CO).
Celles-ci ne sont pas fiscalement acceptées en tant que charge justifiée par l’usage commercial.15
Selon le droit cantonal, il est parfois possible de constituer des provisions supplémentaires (p.ex. pour les reconversions et les restructurations).16 De telles provisions se justifient par l’art. 960e al. 3 ch. 3 CO dans le nouveau droit comptable, car il existe une forte ressemblance avec la notion de restructuration qui y est utilisée.
La volonté du législateur lors de la réforme du titre trente-deuxième du CO était de moderniser le droit existant (en douceur) et surtout de le préciser. En témoignent p.ex. les définitions nouvellement introduites de notions et de principes (on peut citer la nouvelle définition légale des actifs, la description des principes de la régularité de la comptabilité, des règles de structuration plus rigoureuses, etc.). La neutralité fiscale du titre remanié était essentielle pour le Conseil fédéral, mais aussi pour le Parlement et elle est aussi expressément confirmée parla CSI.17 Nous pouvons encore rappeler à cet égard que cette affirmation ne fait pas l’unanimité; la proposition de R. Noser (Zurich) (rejetée par les Chambres) selon laquelle les charges comptabilisées au CO auraient dû être fiscalement reconnues avec un «article sur la déterminance» aurait presque été spectaculaire à cet égard. Elle aurait débouché sur une situation totalement nouvelle et aurait sans doute aussi modifié l’assiette fiscale.18
- Altorfer, Jürg / Duss, Marco / Felber, Michael: Abweichende Bilanzvorschriften des Steuerrechts, in: Pfaff, Dieter et. al. (éd.): Rechnungslegung nach Obligationenrecht, Zurich 2014
- Message concernant la révision du code des obligations, 21.12.2007 (08.011), in: FF 2007 1407 ss.
- AFC, notice AFC A 1995
- Fontana, Marco / Handschin, Lukas: Ausweis stiller Reserven in der Erfolgsrechnung, in: L’expert-comptable suisse, 8/2014, p. 650 – 657.
- Höhn, Ernst / Waldburger, Robert: Steuerrecht, tome II, Berne 2013
- Schüle, Kurt: Wird das neue Rechnungslegungsrecht tatsächlich steuerneutral sein?, in: L’expert-comptable suisse, n° 1 – 2/2011, p. 48 s.
- Conférence suisse des impôts (CSI): Analyse du Comité CSI sur le nouveau droit comptable, 12.2.2013.
- Sterchi, Walter / Mattle, Herbert / Helbling, Marcus: Schweizer Kontenrahmen KMU, Zurich 2013
- Un délai de transition jusqu’au 1er janvier 2016 a été fixé pour les comptes consolidés non pertinents au plan fiscal.
- Loi fédérale sur l’impôt direct, RS 642.11, version au 1.1.2014.
- Dans les cas où il n’existe pas de compte de résultats selon le droit commercial, l’art. 58 al. 2 LIFD exige une déduction du bénéfice net «par analogie».
- Il s’agit du 1) pouvoir de disposition en raison, 2) d’événements passés, 3) du flux d’avantages économiques futur et 4) de la possibilité de corrections de valeur fiables.
- Cf. Fontana / Handschin (2014), p. 651. La délimitation entre réserves arbitraires et d’appréciation esquissée par les auteurs devrait toutefois s’avérer difficile et être «teintée d’appréciation».
- Cf. Altorfer / Duss / Beilstein (2014), N 4.
- Ne serait-ce que pour cette raison, il n’est guère conseillé en pratique de faire usage de la «simplification», prévue par le législateur.
- Cf. Höhn / Waldburger (2013), § 46 N 69 ss.
- Cf. AFC, notice AFC A 1995.
- Cf. Message (2007), p. 1714.
- Cf. CSI (2013), p. 3/4.
- Cf. Sterchi / Mattle / Helbling (2013), p. 128.
- Cf. CSI (2013), p. 4/4.
- Cf. Altorfer / Duss / Beilstein (2014), N 68.
- Cf. CSI (2013), p. 3/4.
- Art. 34 al. 2 let. b LI BE et art. 92 al. 2 let. b LI BE; les cantons de Soleure, de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville connaissent également des réglementations similaires.
- Cf. CSI (2013), p. 1/4.
- Cf. Schüle (2011), p. 49.