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Les conseillers, mais aussi de plus en plus les tribunaux se penchent, ces derniers temps, sur la question de savoir ce qu’est une activité lucrative indépendante et, partant, ce qui entraîne l’obligation de cotiser. Dans la pratique, ce qu’une personne fait concrètement importe peu. Ce qui compte c’est la forme sous laquelle l’activité est organisée afin d’assujettir les revenus à l’obligation de verser des cotisations à l’AVS, en tant que revenus d’une activité indépendante. Dans l’article suivant, l’auteur explique ce que cela implique pour le conseil.

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Le revenu provenant d’une activité indépendante est soumis à l’obligation de verser des cotisations à l’AVS.1 Les conseillers, mais aussi de plus en plus les tribunaux se penchent, ces derniers temps, sur la question de savoir ce qu’est une activité lucrative indépendante et, partant, ce qui entraîne l’obligation de cotiser. Cela fait longtemps que la définition de l’activité indépendante n’a plus grand chose à voir avec une «activité». De nombreuses manifestations supplémentaires sont classées parmi les activités indépendantes. Les quasi-négociants (courtiers en valeurs mobilières, agents immobiliers) en font partie tout comme les associés de sociétés simples (consortium), de sociétés en commandite et en nom collectif et de collectivités étrangères. Dans la pratique, ce qu’une personne fait concrètement importe peu. Ce qui compte c’est la forme sous laquelle l’activité est organisée afin d’assujettir les revenus à l’obligation de verser des cotisations à l’AVS, en tant que revenus d’une activité indépendante. Qu’est-ce que cela implique pour le conseil?

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1. L’essence de l’activité indépendante
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Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, une activité est dite lucrative, lorsqu’elle est exercée dans l’intention de réaliser un revenu et d’augmenter la capacité de rendement économique.2 Ce n’est pas la perception subjective d’une personne qui importe, mais la manifestation économique, dont est notamment déduit le but lucratif comme caractéristique essentielle d’une activité lucrative. Ainsi, la gestion «pure» de la propre fortune ne constitue pas encore une activité lucrative, même si un revenu de la fortune est évidemment dégagé ou du moins espéré en la matière. Ce sont en revanche la manière et l’intensité avec lesquels ces actifs sont gérés qui permettent finalement de conclure à l’obtention planifiée d’un revenu et, partant, au but lucratif. Nous connaissons les courtiers en valeurs mobilières et agents immobiliers à titre professionnels (quasi-négociants) qui sont triés selon des critères plus ou moins pertinents.

Conformément à la législation, il n’existe pas d’éléments de fait typiques de la définition permettant de définir l’activité indépendante. La pratique apprécie plutôt l’existence d’une activité indépendante sur la base des circonstances du cas individuel.3 Les gains en capital représentent le revenu de l’activité indépendante, si et dans la mesure où ils reposent sur une action exercée à titre professionnel. Le Tribunal fédéral apprécie l’obtention d’un revenu comme une activité indépendante à l’aide des critères suivants, dont l’importance peut d’ailleurs parfaitement varier au cas par cas:4

  • démarche systématique ou planifiée, notamment efforts pour mettre à profit l’évolution du marché pour réaliser des bénéfices;
  • fréquence des transactions;
  • durée de possession courte;
  • relation étroite avec l’activité professionnelle;
  • utilisation de connaissances techniques spéciales;
  • importants capitaux empruntés pour financer les opérations;
  • réinvestissement des bénéfices réalisés dans des actifs comparables.

La présence reconnaissable sur le marché n’est pas nécessaire. L’imprévisibilité pratique de cette méthode descriptive réside dans le fait que les différents critères sont plus ou moins importants selon les circonstances du cas particulier et que même les arrêts du Tribunal fédéral se caractérisent par un certain arbitraire.5

Pour finir, l’exigence du but lucratif se déduit très bien de l’interaction avec d’autres personnes. Le bailleur de fonds profite des capacités professionnelles du spécialiste et constitue avec celui-ci un consortium et l’immeuble construit ou acquis dans le cadre du consortium constitue alors une fortune commerciale. L’investisseur s’attache les connaissances du professionnel des placements et il est lui-même considéré comme un professionnel ayant la capacité d’utiliser certaines connaissances techniques spécifiques. L’interaction entre plusieurs parties prenantes a généralement un effet d’accentuation dans ce contexte.

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2. Revenu des sociétés de personnes
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Il n’a jamais été contesté que deux ou plusieurs associés qui se regroupent dans le cadre d’une entreprise commerciale, de fabrication ou industrielle (ou de services) exercent chacun une activité indépendante en qualité d’associés d’une société de personnes. La difficulté se pose désormais lorsque l’activité des associés n’est plus aussi évidente, alors que c’est l’organisation et l’utilisation ciblée des ressources (notamment des finances et des biens immobiliers) qui débouchent sur un revenu. Peut-on parler d’activité indépendante si le placement de la fortune prend la forme d’une société en nom collectif ou en commandite ou si une autre collectivité sans personnalité juridique est utilisée? Ces questions donnent plus fréquemment lieu aujourd’hui à des discussions et à des décisions de justice.

Il y a quelques années, le législateur (resp. l’autorité réglementaire) a défini à l’art. 20 al. 3 RAVS, sous le titre marginal de «Personnes tenues de payer les cotisations», que: «Les membres des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite et d’autres collectivités de personnes ayant un but lucratif et ne possédant pas la personnalité juridique sont tenus de payer les cotisations sur leur part du revenu de la collectivité.» De façon constante, mais à mon sens pas totalement légitime, le Tribunal fédéral déduit de cette disposition qu’un associé d’une société en nom collectif ou en commandite ou d’une autre collectivité de personnes ayant un but lucratif est par définition un travailleur indépendant.6 Rappelant que l’art. 20 al. 3 RAVS est conforme à la loi, la légitimité est également attribuée à cette interprétation élargie dans la jurisprudence constante.7 Cela signifie que la seule position d’associé suffit à qualifier les revenus de la société de revenu lucratif, sans même vérifier la forme sous laquelle l’associé exerce son activité. De jurisprudence constante – et notamment dans les cas concernant les GmbH & Co. KG allemandes8 – le Tribunal fédéral refuse sans autre forme de procès l’objection selon laquelle il n’y aurait pas de prestation de travail ni d’activités concrètes de la part des associés. Le Tribunal fédéral conclut plutôt de manière pure et dure que quiconque participe à une société en nom collectif ou en commandite ne procède pas en premier lieu à un placement privé de sa fortune.9 Cela signifie en d’autres termes que la qualification de revenu d’une activité indépendante ne se base plus sur l’activité, mais sur la perception d’un revenu dans une structure visant un objet lucratif, jugée pertinente par le Tribunal fédéral.10

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3. Différentes structures de sociétés
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3.1 Société en commandite de placements collectifs
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Dans un arrêt récent destiné à la publication, le Tribunal fédéral a dû se pencher sur la question de savoir si un Limited Partnership étranger générait pour l’associé en Suisse un revenu d’une activité indépendante ou s’il devait s’agir d’un pur revenu de la fortune.11 Le Tribunal fédéral a profité de cette question pour qualifier les revenus d’une société en commandite de placements collectifs (SCPC)12 de revenus de la fortune exonérés d’AVS. Dans le cas concret, il n’a pas été nécessaire de répondre à la question du traitement des revenus du Limited Partnership, parce que le Tribunal fédéral a reconnu que la nature et l’intensité des investissements dans le cadre de ce support correspondaient à l’activité d’un négociant en valeurs mobilières agissant à titre professionnel, conformément à la jurisprudence suisse.

Cet arrêt est intéressant en ce sens que le fait que les revenus d’une SCPC (société en commandite de placements collectifs) sont qualifiés de revenus de la fortune exonérés d’AVS (en quelque sorte au titre d’un placement privé passif de la fortune), alors que les revenus d’une société en commandite de droit suisse chargée de la gestion de fortune privée ou d’une GmbH & Co. KG allemande dans laquelle l’investisseur ne peut également participer que de manière passive avec sa commandite sont censés constituer un revenu soumis à l’AVS. Le fait que la gestion de fortune est pratiquée dans une société selon la LPCC ou dans une société de personnes ou collectivité «normale» est donc tout à fait déterminant.13

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3.2 Société en nom collectif et en commandite
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En vertu de l’art. 20 al. 3 RAVS (cf. le point 2 ci-dessus), c’est le «but lucratif» de la collectivité qui importe et non l’activité concrète de l’associé dans cette société et pour elle. Par le passé, le Tribunal fédéral a déduit de la définition légale de la société en nom collectif et en commandite une hypothèse légale selon laquelle ces sociétés ont un but lucratif14 et relèvent donc du champ d’application de l’art. 20 al. 3 RAVS précité. S’agissant de la société simple, le Tribunal fédéral ne reprend pas cette hypothèse,15 en elle-même la société simple peut cependant déjà constituer un indice fort de l’obtention planifiée d’un revenu. La simple interaction va souvent au-delà de la gestion de fortune «pure» et représente donc un indice de poids de l’obtention d’un revenu.

Le postulat d’une hypothèse signifie que l’on peut l’invalider en apportant la preuve du contraire. Autrement dit, la preuve de l’existence d’une société non commerciale, destinée à la simple détention de la fortune privée, permet d’exclure le but lucratif. L’invalidation de cette hypothèse n’a pour l’instant réussi que dans un seul cas;16 dans les cas des GmbH & Co. KG allemandes,17 le Tribunal n’a rien voulu savoir des objections selon lesquelles les sociétés ne poursuivaient aucun but lucratif, parce qu’elles détenaient uniquement des participations.

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3.3 De l’hypothèse à la fiction
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Dans son dernier arrêt relatif à une société en commandite suisse, le Tribunal fédéral retient que «la société en nom collectif et en commandite, mais aussi la GmbH & Co. KG allemande sont considérées comme une société ayant un but lucratif …». L’auteur estime qu’il ne s’agit pas ici d’une formulation quelque peu imprécise,18 mais d’une annonce claire qu’il s’agit de mettre un terme à l’hypothèse pouvant être invalidée. A défaut, il serait impossible de comprendre pourquoi la société en commandite qui est de toute évidence inscrite au registre du commerce comme n’ayant pas d’activité commerciale et qui vise la détention de participations et l’encaissement de dividendes (dans le cas d’une seule grande société immobilière) ainsi que la poursuite des entreprises appartenant aux cocontractants en Suisse et la garantie d’une politique commerciale homogène dans la direction des entreprises a été considérée comme une société ayant un but lucratif.19 Sans le dire, le Tribunal fédéral a fait de l’hypothèse pouvant être invalidée une fiction qui ne peut plus être invalidée!20

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4. Résultat pour le conseil de planification
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Nous retenons donc en définitive ceci:

  • Le Tribunal fédéral prend prétexte d’une base de calcul des cotisations (art. 20 al. 3 RAVS) pour traiter de façon générale la structure d’une collectivité comme l’expression d’une activité indépendante, dans la mesure où elle poursuit un «but lucratif».
  • Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’associé d’une collectivité sans personnalité juridique doit être traité comme un travailleur indépendant, sauf dans le cas exceptionnel d’une société en commandite de placements collectifs selon la LPCC. Il n’existe pas d’autres exceptions dans le domaine de la gestion de fortune privée.
  • Notamment l’appartenance à une société en nom collectif ou en commandite non commerciale (art. 553 et 595 CO) entraîne l’assujettissement à l’AVS des revenus obtenus dans ces structures. «Non commercial» ne plaide pas contre le but lucratif, car toute société poursuit un but d’acquisition de revenus au sens large (poursuite d’un objectif commun avec des ressources communes).
  • Nous devons par ailleurs supposer que même l’appartenance à une société simple sera considérée comme une collectivité ayant un but lucratif là où celle-ci poursuit des buts similaires à une société en nom collectif ou en commandite non commerciale, même si elle ne sert qu’au pooling de placements de la fortune, à une communauté de joueurs ou à l’harmonisation des intérêts des actionnaires dans une convention d’actionnaires.
  • Pour finir, nous devons envisager que tout placement privé de la fortune organisé sous la forme d’une collectivité débouche à la fin de la journée sur un revenu lucratif assujetti à l’AVS.

Que signifie à présent cette conclusion pour le travail pratique du conseiller? Nous pouvons nous dresser autant que nous le voulons contre les arrêts pas toujours convaincants du Tribunal fédéral, nous n’avons pas d’autre choix que de les accepter.21 Une fois de plus, nous devons cependant reconnaître que les sociétés de personnes conviennent par exemple de moins en moins au règlement des situations intrafamiliales en matière de gestion de fortune.

  • Selon l’arrêt 9C_688/2011, les conventions d’actionnaires ne doivent jamais être rédigées sous la forme d’une société de personnes non commerciale inscrite au registre du commerce.22 La société simple a l’avantage qu’elle reste cachée à l’administration de l’AVS, ce qui limite la convoitise.
  • Les placements de fortune dans le cadre d’une société de personnes à l’étranger doivent être évités, car dans les relations intraeuropéennes une activité indépendante dans un Etat de l’UE conjointement avec une activité salariée en Suisse se traduit toujours par un assujettissement à l’assurance et à une obligation de cotiser en Suisse pour l’ensemble du revenu lucratif23.24

L’organisation de relations au moyen de société de personnes requiert donc un soin particulier de la part du conseiller, s’il souhaite éviter les mauvaises surprises.

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  1. Art. 8 LAVS en relation avec l’art. 7 ss RAVS.
  2. Pour beaucoup ATF 139 V 12 consid. 4.3, Directives sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, AI et APG (DIN), Cm 1067 et 2004.
  3. Cette pratique a régulièrement été critiquée (sans succès) – notamment dans la perspective de la jurisprudence relative à l’impôt fédéral direct. Cf. p. ex. Marco Duss, Quasi-Wertschriften- und andere Quasi-Händler, in: L’Expert-comptable suisse 4/2010, p. 201 ss.
  4. Récapitulatif dans l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_765/2014, consid. 6.2.
  5. Une telle jurisprudence est extrêmement problématique dans la perspective de la sécurité du droit et de la sécurité de la planification. En Suisse, nous sommes cependant habitués depuis longtemps à cette jurisprudence peu systématique et axée sur le cas particulier, notamment dans le droit des assurances sociales: la délimitation entre activité salariée et indépendante connaît d’importantes fluctuations, toujours en référence aux circonstances du cas particulier.
  6. TF 9C_504/2010.
  7. TF 9C_756/2014; ATF 136 V 258 consid. 4; TF 9C_326/2013.
  8. TF 9C_853/2009; TF 9C_326/2013.
  9. ATF 121 V 80 consid. 21; TF 9C_688/2011.
  10. La notion de «but lucratif» est très ambiguë. Elle ne requiert pas une activité lucrative, mais la recherche de profits, par opposition à l’intérêt public. Au fond, le «but lucratif» ne se prête pas à la délimitation d’une structure qui produit des revenus de la fortune par rapport à une structure qui produit des revenus lucratifs.
  11. Arrêt du Tribunal fédéral du 23 mars 2015, 9C_765/2014; cf. également le commentaire très rigoureux d’Andreas Schneuwly, Keine AHV-Beitragspflicht auf Einkommen aus Kommanditgesellschaften für kollektive Kapitalanlagen, in Revue fiscale 2015, no 7 – 8, p. 554 ss.
  12. Selon la loi sur les placements collectifs de capitaux (loi sur les placements collectifs, LPCC; RS 951.31).
  13. Cf. à propos de l’analyse Andreas Schneuwly, op. cit.
  14. ATF 121 V 80; TF 9C_455/2008.
  15. TF 9C_455/2008; TF 9C_1057/2010.
  16. ATF 121 V 80.
  17. TF 9C_504/2010; ATF 136 V 258.
  18. Un peu plus bienveillant: Andreas Schneuwly, op. cit., p. 562.
  19. TF 9C_688/2011. L’étonnement quant à cet arrêt s’exprime également dans l’exposé d’Andreas Schneuwly, op. cit., p. 564. Pourquoi une société doit-elle être soumise au but lucratif, si le même tribunal qualifie une société selon la LPCC de non «opérationnelle», n’exerçant pas d’«activité entrepreneurial» et ne poursuivant pas de but lucratif? Cf. TF 9C_765/2014.
  20. L’arrêt du TF 9C_688/2011 consid. 4 est le meilleur exemple d’une argumentation malheureuse: toutes les raisons qui plaident contre le but lucratif et en faveur d’un instrument visant à organiser la gestion de fortune privée sont présentées et la conclusion contraire en est tirée, au grand étonnement du lecteur.
  21. L’auteur sait parfaitement qu’avoir raison et obtenir raison sont deux choses différentes. Entre-temps, il se souvient de la devise depuis longtemps intériorisée par ses collègues allemands: «En justice et en pleine mer, on est entre les mains de dieu.» L’auteur n’a toutefois pas toujours la confiance en dieu requise dans de telles situations.
  22. Dans leur nouvel ouvrage Aktionärbindungsverträge, Zurich 2015, N 172/173 Peter Forstmoser / Marcel Küchler ne voient encore aucun problème concernant l’utilisation de telles sociétés.
  23. Art. 13 al. 3 règlement (CE) 883/2004.
  24. Cf. pour plus de détails à ce sujet Orlando Rabaglio / Barbara Stötzer, Grenzüberschreitende Vermögensverwaltung aus Sicht der Sozialversicherungen, in: L’Expert-comptable suisse 5/2015, p. 345.
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